"Dieu m'a donné ce corps et cet esprit et je dois en prendre le meilleur soin possible pour en tirer le meilleur bénéfice. Je sais qu'Il a de grands desseins pour moi, sinon Il ne m'aurait pas fait naître dans l'État le plus riche du pays le plus riche du monde, doté du système d'armement le plus performant, capable d'anéantir l'espèce humain en un clin d'œil. [...] Je pense au paradis comme à un grand État du Texas dans le ciel, avec Dieu qui se balade sur son ranch en Stetson et en bottes de cow-boy, vérifiant que tout est sous contrôle, canardant une planète de temps à autre pour s'amuser". Ainsi parle Sol, dernier rejeton de la lignée, enfant de six ans, persuadé d'être la 8ème Merveille du Monde, au-dessus de tous les autres, imbu de sa petite personne prétentieuse. D'ailleurs, ses parents en sont eux-mêmes certains qui le laissent diriger, commander, organiser sa vie et celle de ses parents. Sol est un enfant effronté, sûr de lui, arrogant, qui a définitivement décidé que le monde était divisé en deux clans distincts : les bons d'un côté - les Américains -, les méchants de l'autre. Sol vit dans un monde à son image, violent, vulgaire, haineux, sanglant, sexuel, où seul règne la loi du plus fort. Sol est un pur produit de la société américaine du 21ème Siècle, individualiste, égotiste, vivant dans le virtuel et sans réel contact avec les autres. Une société puritaine et sécuritaire, qui s'en remet à Dieu pour chacun de leurs actes, pour s'absoudre, se déculpabiliser. "On invente chaque soir une prière différente, on peut demander à Dieu d'apporter la paix en Irak et de faire en sorte que les Irakiens croient en Jésus, ou on peut avoir une pensée spéciale pour la santé et le bonheur de nos proches, ou on peut remercier Dieu de nous avoir donné un si beau quartier où habiter". A trop lui répéter qu'il est doué, intelligent, celui-ci est persuadé de sa supériorité et d'être l'égal de Dieu sur Terre. Personne ne doit lui faire de remarques, encore moins de reproches, Sol est l'enfant roi ! Ses parents ont érigé un autel à sa gloire et sa mère est la vestale de ce temple païen. Même si Sol ne comprend pas tout à six ans, il possède des pouvoirs divins.
Randall, le père de Sol, a six ans en 1982. Petit garçon calme et insouciant, il aime ses parents pour ce qu'ils sont et tout ce qu'ils lui transmettent quotidiennement. Il se souvient des disputes homériques entre son père et sa mère concernant les Juifs. Sadie avait tellement tenu à se convertir pour son mariage que Randall était aussi devenu juif. "M'man s'intéresse beaucoup plus à la question que p'pa, ce qui est un comble parce que c'est p'pa qui est né juif alors que m'man est née goy et a insisté pour se convertir lors de leur mariage. P'pa s'en fout de la religion mais il était si amoureux de m'man qu'il a accepté tout le cirque de la cérémonie et du coup moi aussi je suis juif parce que ça vient de la mère, même si elle est née goy". La seconde pomme de discorde dans la famille, c'est Erra, la grand-mère chanteuse à succès. Randall l'aime particulièrement parce que tous deux possèdent la même tâche de naissance, signe d'appartenance à la même descendance. Cela les rapproche plus encore, leur donne une complicité que Randall n'a pas avec Sadie, sa mère. Parce que celle-ci est plus préoccupée par ses recherches historiques sur le Lebensborn que par sa famille. Randall se sent négligé, relégué loin derrière ses livres, ses cours, ses conférences, ses voyages d'étude. Lors d'un séjour en Israël, Randall tombera amoureux de Nouzha la palestinienne qui n'a qu'un désir à neuf ans, celui de reprendre la terre volée par les juifs à son peuple. Il lui est difficile d'assimiler ces histoires de peuples qui revendiquent un même territoire et sujet de fâcheries entre ses parents.
En 1962, Sadie a six ans et vit chez ses grands-parents maternels parce que sa mère - Erra - ne peut s'en occuper correctement. Trop de travail, trop de déplacements, peu de temps à consacrer à une enfant de cet âge. Sadie se sent sale, parce que bâtarde et le signe de cette souillure indélébile, c'est une tâche sur la fesse gauche. "Maman a un grain de beauté au creux de son bras gauche et elle n'en n'a pas honte parce que ce n'est pas un endroit honteux mais pour moi, le fait de l'avoir sur ma fesse est comme une preuve de ma souillure, on dirait que je me suis mal essuyée en allant aux toilettes et que j'y ai laissé un bout de caca par erreur, c'est la marque de l'Ennemi qui a présidé à ma naissance [...]". Sadie passe son temps à rêvasser, à être dans la lune pour oublier vie terne et sans intérêt. Elle se sent terriblement seule parce qu'elle n'a pas d'amies. Pour combler cette solitude pesante, Sadie s'oublie dans la lecture. Là, elle peut réinventer son existence et se trouver un réel talent.
1944, Kristina rêve d'être la Grosse Dame du Cirque dans une Allemagne en pleine déroute. Elle se pose tout un tas de questions sur l'existence de Dieu, sur la vie, la mort, la guerre. L'anniversaire de ses six ans ne sera pas une fête, mais une veillée funèbre à cause de la mort de Lothar - son frère aîné - sur le front de l'Est. Ce qui permet à Kristina d'oublier cet ordinaire rempli de peurs, d'angoisses, c'est le chant, la musique et le piano avec son grand-père. Car Kristina possède une voix d'ange. Elle chante haut et juste dont elle tire une grande fierté. Elle transcende ainsi les horreurs qu'elle vivra en cette fin de règne apocalyptique.
A travers quatre générations d'une même famille, Nancy Huston nous raconte dans "Lignes de faille" la société vue par Sol, Randall, Sadie et Kristina à six ans. Vision enfantine d'un monde d'adulte sans pitié qui bouge, change, évolue, se transforme avec - à chaque lignée - les non-dits, les souffrances, les appréhensions, les dissensions accumulées par la génération précédente. S'ouvrant sur le dernier descendant de cette filiation - Sol - Nancy Huston en fait un enfant du 3ème Millénaire, individu méprisant et méprisable, qui se repaît d'images agressives banalisées par la télé et Internet. "Lignes de faille" s'achève par Kristina - l'arrière-grand-mère - enfant du chaos dans une Allemagne dévastée, anéantie. C'est une petite fille qui vit ces événements tragiques avec un œil affûté, aiguisé. Sa voix l'aide à transgresser les atrocités de cette période et à oublier ce qu'elle voit, vit et entend tous les jours. C'est par Erra, Kristina, Klarysa que l'histoire de ce roman se clôt, parce que c'est aussi par elle que tout commence, fil d'Ariane permettant de remonter l'histoire de cette famille jusqu'à sa source sans se perdre dans ses méandres. "Lignes de faille" est un roman polyphonique qui raconte la guerre, l'amour, la mémoire, la fidélité aux idées. A travers ces quatre générations, Nancy Huston nous parle de la violence et de la barbarie du monde, dans une langue belle et simple à la fois, comme une vision d'enfant. C'est un de ces romans que le lecteur a du mal à oublier une fois terminer la dernière ligne et qui reste longtemps imprimé en mémoire.
Randall, le père de Sol, a six ans en 1982. Petit garçon calme et insouciant, il aime ses parents pour ce qu'ils sont et tout ce qu'ils lui transmettent quotidiennement. Il se souvient des disputes homériques entre son père et sa mère concernant les Juifs. Sadie avait tellement tenu à se convertir pour son mariage que Randall était aussi devenu juif. "M'man s'intéresse beaucoup plus à la question que p'pa, ce qui est un comble parce que c'est p'pa qui est né juif alors que m'man est née goy et a insisté pour se convertir lors de leur mariage. P'pa s'en fout de la religion mais il était si amoureux de m'man qu'il a accepté tout le cirque de la cérémonie et du coup moi aussi je suis juif parce que ça vient de la mère, même si elle est née goy". La seconde pomme de discorde dans la famille, c'est Erra, la grand-mère chanteuse à succès. Randall l'aime particulièrement parce que tous deux possèdent la même tâche de naissance, signe d'appartenance à la même descendance. Cela les rapproche plus encore, leur donne une complicité que Randall n'a pas avec Sadie, sa mère. Parce que celle-ci est plus préoccupée par ses recherches historiques sur le Lebensborn que par sa famille. Randall se sent négligé, relégué loin derrière ses livres, ses cours, ses conférences, ses voyages d'étude. Lors d'un séjour en Israël, Randall tombera amoureux de Nouzha la palestinienne qui n'a qu'un désir à neuf ans, celui de reprendre la terre volée par les juifs à son peuple. Il lui est difficile d'assimiler ces histoires de peuples qui revendiquent un même territoire et sujet de fâcheries entre ses parents.
En 1962, Sadie a six ans et vit chez ses grands-parents maternels parce que sa mère - Erra - ne peut s'en occuper correctement. Trop de travail, trop de déplacements, peu de temps à consacrer à une enfant de cet âge. Sadie se sent sale, parce que bâtarde et le signe de cette souillure indélébile, c'est une tâche sur la fesse gauche. "Maman a un grain de beauté au creux de son bras gauche et elle n'en n'a pas honte parce que ce n'est pas un endroit honteux mais pour moi, le fait de l'avoir sur ma fesse est comme une preuve de ma souillure, on dirait que je me suis mal essuyée en allant aux toilettes et que j'y ai laissé un bout de caca par erreur, c'est la marque de l'Ennemi qui a présidé à ma naissance [...]". Sadie passe son temps à rêvasser, à être dans la lune pour oublier vie terne et sans intérêt. Elle se sent terriblement seule parce qu'elle n'a pas d'amies. Pour combler cette solitude pesante, Sadie s'oublie dans la lecture. Là, elle peut réinventer son existence et se trouver un réel talent.
1944, Kristina rêve d'être la Grosse Dame du Cirque dans une Allemagne en pleine déroute. Elle se pose tout un tas de questions sur l'existence de Dieu, sur la vie, la mort, la guerre. L'anniversaire de ses six ans ne sera pas une fête, mais une veillée funèbre à cause de la mort de Lothar - son frère aîné - sur le front de l'Est. Ce qui permet à Kristina d'oublier cet ordinaire rempli de peurs, d'angoisses, c'est le chant, la musique et le piano avec son grand-père. Car Kristina possède une voix d'ange. Elle chante haut et juste dont elle tire une grande fierté. Elle transcende ainsi les horreurs qu'elle vivra en cette fin de règne apocalyptique.
A travers quatre générations d'une même famille, Nancy Huston nous raconte dans "Lignes de faille" la société vue par Sol, Randall, Sadie et Kristina à six ans. Vision enfantine d'un monde d'adulte sans pitié qui bouge, change, évolue, se transforme avec - à chaque lignée - les non-dits, les souffrances, les appréhensions, les dissensions accumulées par la génération précédente. S'ouvrant sur le dernier descendant de cette filiation - Sol - Nancy Huston en fait un enfant du 3ème Millénaire, individu méprisant et méprisable, qui se repaît d'images agressives banalisées par la télé et Internet. "Lignes de faille" s'achève par Kristina - l'arrière-grand-mère - enfant du chaos dans une Allemagne dévastée, anéantie. C'est une petite fille qui vit ces événements tragiques avec un œil affûté, aiguisé. Sa voix l'aide à transgresser les atrocités de cette période et à oublier ce qu'elle voit, vit et entend tous les jours. C'est par Erra, Kristina, Klarysa que l'histoire de ce roman se clôt, parce que c'est aussi par elle que tout commence, fil d'Ariane permettant de remonter l'histoire de cette famille jusqu'à sa source sans se perdre dans ses méandres. "Lignes de faille" est un roman polyphonique qui raconte la guerre, l'amour, la mémoire, la fidélité aux idées. A travers ces quatre générations, Nancy Huston nous parle de la violence et de la barbarie du monde, dans une langue belle et simple à la fois, comme une vision d'enfant. C'est un de ces romans que le lecteur a du mal à oublier une fois terminer la dernière ligne et qui reste longtemps imprimé en mémoire.
Livre lu dans le cadre du
D'autres avis sur ce superbe roman sur Biblioblog, de Fibula, de Tamaculture, de Papillon, de Clochette, de Anne-Sophie, de Lily, de Emeraude, de Estelle, de In Cold Blog, de Elfique, de Anne, d'autres encore sur BOB ...
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18 commentaires:
Bonne pioche pour ce blogoclub personnel, n'est ce pas?
Je pense que c'est le roman que je préfère de cet auteur. J'aime beaucoup Nancy Huston.
Il faut vraiment que je le relette à lire Huston!
@ Keisha : Je voulais lire "La tournée d'automne", mais il était emprunté à la bibliothèque ... J'ai pioché dans ma PAL et j'ai trouvé Nancy Huston qui attendait depuis deux ans d'être lue ! Une véritable découverte, un coup de cœur, une lecture qui laisse sans voix ! Je découvrirai Jacques Poulin plus tard ...
@ Émilie : C'est le premier roman que je lis de cette romancière et certainement pas le dernier ... J'ai prévu "L'empreinte de l'ange" pour plus tard ! Et je ne vais pas m'arrêter en si bonne compagnie ...
@ Chiffonnette : Pour une première lecture, c'est un bonheur ... Je ne peux que te conseiller de la relire ! Cette romancière a vraiment du talent ...
C'est une lecture que j'avais beaucoup apprécié moi aussi (ne cherche pas de billet, c'était avant le blog); Une histoire vraiment captivante !
J'adore lire de si beaux billets sur l'une de mes auteurs favoris.
@ Sylire : J'ai mis le temps avant de la lire, parce que le sujet me faisait très peur ... Mais une fois plongée dans le texte à l'écriture en apparence si infantile, j'ai été happée par l'histoire au point de le dévorer en trois jours ! Un total coup de foudre ...
@ Anne : Cela rassure de lire des billets positifs sur des auteurs que l'on apprécie ... Personnellement, cela me touche toujours d'en lire sur mes romanciers préférés ! Une chose est sûre, je vais récidiver avec Nancy Huston ...
À lire absolument… Et tous les autres aussi. C'est un des livres que j'ai le plus offert, conseillé, à toutes sortes de lecteurs (même des feignants ;-)
Ce roman m'a laissé un profond sentiment de malaise, surtout par rapport au personnage du gamin de 6 ans. J'ai nettement préféré La Virevolte de Nancy Huston, roman un peu plus facile...
J'ai bcp aimé mais il ne m'a pas marqué autant que toi.
@ Ficelle : Tout à fait d'accord avec toi, et pourtant j'ai pris le temps pour le lire ! Mais je ne regrette pas du tout d'avoir découvert cette romancière sensible et intelligente ... C'est vrai que c'est un livre à conseiller même au fainéants parce qu'il se lit très vite !
@ Marie : Je ne connais pas "La Virevolte" que je retiens, car j'ai bien l'intention de persister avec Nancy Huston. J'ai aussi prévu "L'empreinte de l'ange" ... Par contre, c'est vrai que le récit vu par Sol, enfant insupportable m'a fait grincer des dents et donner des envies de meurtre sanguinaire !
@ Theoma : J'ai eu énormément de mal à sortir de cette lecture tellement je l'ai trouvée puissante et marquante ... Ces non-dits qui se répercutent d'une génération à l'autre et s'ajoutent à d'autres donnent au final un roman très original dans sa construction et des accents de réalité qui touchent !
Il est dans ma bibliothèque depuis longtemps... ton billet donne envie de s'y plonger.
@ Aelys : Je l'avais dans ma PAL depuis 3 ans ! J'ai profité du Blogoclub de septembre sur la littérature canadienne pour le lire et je regrette de ne pas l'avoir lu avant ... C'est un livre conséquent, mais qui se lit très vite parce que l'on est happé par l'écriture et le thème !
on me l'a offert il y a longtemps (je n'ose dire quand... j'ai honte ;)) tu me rappelles ce roman à mon souvenir. Mais en ce moment, j'ai envie de légèreté, alors je ne sais pas si c'est ce qe je vais choisir!
J'ai aimé tous les romans de Nancy Huston que j'ai lus (dont un grâce à toi!). Celui-ci est dans ma PAL et je pense que ton billet va le faire remonter !
@ Choupynette : Si tu as une envie de légèreté, je te conseillerai plutôt un Harlequin ! Mais c'est un livre que j'ai mis très (très) longtemps à lire alors que je l'avais dans ma PAL depuis 2 - 3 ans ! Par contre, c'est un roman merveilleux qui méritait son prix Fémina à l'époque.
@ Manu : Je me souviens de "L'empreinte de l'ange" offert lors du swap d'Anjelica ... Je l'ai noté pour le lire en suivant (dans quelque temps !). Mais c'est vrai que la découverte de Nancy Huston a été une révélation ! Mon seul regret est de ne pas l'avoir lu plus tôt ...
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre.C'est un de mes coups de cœur 2007:)
@ Sylvie : Comme je te comprends, car c'est un coup de cœur pour moi aussi, mais beaucoup plus tardif ! L'essentiel est de participer ... Je suis heureuse de lire que tu es de retour parmi nous !
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