26 septembre 2009

OY ... GEWALT !*

  • Le secret du rabbin - Thierry Jonquet - Folio Policier n°199


"Confusément, sans se prévaloir de quelque obscur don de devin, il pressentait que les temps à venir ne seraient pas cléments pour le peuple d'Israël. Mordechai Hirshbaum ne vivait pas coupé du vaste monde. Toutes les semaines, le courrier de Lvov apportait un ballot de journaux pour le rabbi. Les titres démontraient que les préoccupations de Mordechai étaient éclectiques : on pouvait relevait des revues polonaises, bien entendu, mais surtout allemandes, russes, et même américaines ! L'employé de la poste qui livrait la presse n'y jetait même pas un coup d'œil. Et dans tout Niemerov, Rabbi Mordechai Hirshbaum passait pour un illuminé. Aussi, personne ne s'étonnait de le voir abonné à tant de journaux aux noms si énigmatiques". Mordechai Hirshbaum est un très vieux rabbin orthodoxe aux idées fantasques et aux lectures pour le moins singulières au vu de son statut de juif hassidique. C'est un excentrique aux goûts littéraires syncrétiques où les ouvrages pieux côtoient les lectures impies. Et cela, la communauté juive de Niemerov ne lui a jamais pardonnés. A quatre-vingt sept ans, ce vieil original s'était vu retiré la direction de la synagogue de sa petite ville. Depuis dix ans, rabbi Hirshbaum vivait à l'écart de tout et se contentait de la joie procurée par ses études sur la Création ; études récusées par les élèves les plus entêtés de la yeshiva de Niemerov. Aussi, lorsque celui-ci mourut à la synagogue, c'est à son successeur - Rabbi Meshulam Ringelblum - qu'il revint d'ouvrir son testament et de prévenir ses héritiers. Et là, les ennuis ne font que commencer !

Parmi les quatre légataires, se trouve Moses Hirsbaum, gangster new yorkais qui avait échappé à une virée sur la Somme avec les boys américains contre une petite gonocoque obtenue par une certaine Peggy. Moses, le Juif américain, trafiquait avec un Don de la mafia italienne de Little Italy - Lucky Luciano -, le seul qui ne soit pas antisémite et à s'être lancé dans la contrebande d'alcools à grande échelle. Moses s'était juré de se sortir de se bourbier de miséreux entassés dans les bateaux, fuyant les pogroms d'Europe de l'Est seulement riches de leurs maigres balluchons et de leurs espoirs. "Moses n'oublia pas l'humiliation de l'attente dans les hangars d'Ellis Island. L'administration US y entassait tous ces va-nu-pieds avant le contrôle sanitaire ; il fallait patienter des heures, voire des jours entiers, assis sur les bancs de bois, dans les grandes cages grillagées, comme des bêtes. Moses n'oublia pas le regard chargé de mépris de l'infirmier, drapé dans sa blouse blanche, qui examinait les dents des immigrants, leur demander de tousser pour détecter les tuberculeux qui se voyaient refoulés sans ménagement. [...] L'infirmier pérorait sur le degré de crasse des juifs, la stupidité des Grecs, la roublardise des Ritals ... Moses décida qu'on ne le traiterait plus jamais comme du bétail". Il avait bien freiné des quatre fers pour ne jamais revenir en Pologne. Surtout que là-bas la guerre civile faisait rage. Moses avait éviter les tranchées, ce n'était pas pour se faire trouer la peau dans un pays qui pratiquait l'antisémitisme et les pogroms comme un sport national ! C'est Lansky, le bras droit de Lucky Luciano,
qui l'avait convaincu de repartir pour aller chercher le trésor du rabbin. Pour l'encourager, il lui avait proposé d'ouvrir le marché de l'alcool en Pologne.

A quelques dizaines de milliers de kilomètres de New York, David Hirshbaum vit dans la clandestinité à Haïfa. David est un pionnier en Palestine, bien décidé à participer à la création de l'État Juif sur les terres Arabes. Pour cela, il est prêt à tout, même à faire le coup de force contre les troupes britanniques stationnées dans la région. Parce que David est un fanatique qui appartient à la branche radicale du Sionisme, celle fondée et dirigée par Jabotinsky. Et le magot d'un vieux fou exalté reste toujours un magot, qui pourrait servir la cause juste pour laquelle ils se battent. En France, le capitaine de cavalerie Léon de Moissard-Hirchebin n'est plus que l'ombre de lui-même depuis sa blessure, alors qu'il était promis à un brillant avenir dans les Armes. C'est un miraculé de la Grande Guerre qui vient juste de prendre fin. De ses origines juives, il ne voulait pas en entendre parler. Son grand-père maternel ayant francisé son nom, ce passé n'existait pas pour lui. "Léon haussa les épaules. Il n'ignorait rien de ce pan "honteux" de l'histoire familiale. Après l'affaire Dreyfus, Edmond Hirshbaum, son grand-père maternel, avait fait modifier son nom : les deux dernières syllabes furent "francisées". Quand sa fille Charlotte épousa le comte de Moissard, on accola les deux patronymes. Quelques jours après la naissance, on baptisa Léon, et il ne fut plus jamais question, dans les conversations courantes, de ses origines juives. Charlotte avertit toutefois son fils de la surprenante filiation qui le rattachait à la terre de Galicie, à l'aube de sa quatorzième année ...". Aussi, le courrier d'un sombre rabbin galicien lui rappelant sa lointaine parenté avec la communauté juive polonaise le fait bien ricaner. Pour lui, les économies de ce rabbi ne peuvent avoir qu'une seule et unique origine, les rapines dont ces gens-là sont capables. C'est un ami de la famille - financier ayant des intérêts capitalisés en Pologne -, qui le convaincra de s'y rendre en tant qu'observateur politique. Une belle occasion de faire d'une pierre deux coups, et de savoir de quoi est fait le fameux trésor.

C'est ainsi que les trois neveux et la nièce de rabbi Hirschbaum, tous aussi éloignés les uns des autres que la Terre peut l'être de Jupiter vont se retrouver en Pologne sous un faux prétexte pour tenter de savoir quel est le mystérieux trésor d'un rabbin pauvre de Galicie. Tous les quatre, au cours de leur virée imposée au pays de leurs racines communes découvriront le mépris et l'ampleur de l'antisémitisme en Pologne. Les uns et les autres seront confrontés à la guerre civile qui rage dans un pays à peine indépendant et déjà objet de convoitises de la part de son voisin russe.

Avec "Le secret du rabbin", Thierry Jonquet revient sur l'histoire des communautés juives disséminées à travers l'Europe et les États-Unis. Prenant prétexte d'un petit héritage à toucher, l'auteur brosse des portraits décapants des différents protagonistes. De Moses, gangster associé à la bande de Lucky LucianoI et de Lansky qui a coupé les ponts avec ses parents juifs pratiquants et misérables, à Rachel ayant aboli la religion juive pour entrer dans celle - aussi orthodoxe - du
bolchevisme russe, les neveux et la nièce de ce drôle de rabbin sont tous aussi baroques et dissemblables les uns que les autres. Chacun, à leur manière, selon leur culture, leur éducation, leur fréquentation ou leur milieu social partira en quête de ce supposé pactole. Et l'auteur en profite pour raconter la Pologne dans les années 1920, secouée par la guerre civile et subissant indirectement les conséquences de la Révolution de 1917 en Russie. Le contexte de cette période tient lieu de toile de fond à cette épopée originale avec la difficulté de ce pays à exister en tant que tel, l'antisémitisme virulent et affiché d'une partie de sa population, et la misère de ses habitants. Tous les personnages de ce roman abracadabrant sont touchants et pathétiques. Qu'ils revendiquent haut et fort leur judéité, qu'ils la dédaignent ou la méprisent, tous finiront par l'admettre et revenir à cette même communauté.

* Expression yiddish annonçant l'arrivée d'un malheur.

Ce roman a été lu dans le cadre du défi policier sur les cinq continents


330 - 1 = 329 livres dans ma PAL ... Que va piano, va sano e lontano !


10 commentaires:

Manu a dit…

Décidément, je ne suis pas sûre de me passionner pour l'univers de cet écrivain. Et il faudrait que je me décide à reprendre ce défi !

Michel a dit…

Noté, normal avec un tel thème

Dominique a dit…

J'aime bien les romans de Jonquet, ses personnages toujours un peu décalés ou totalement marginaux
je trouve qu'il sait mêler le frisson, l'intrigue et une dose d'humour noir

Lilibook a dit…

Je n'ai lu qu'un seul livre (que j'avais beaucoup aimé) de cet auteur et il mérite que je découvre d'autres livres de lui.

Emilie a dit…

Moi qui aime déjà beaucoup les romans de Jonquet, ce roman me fait de l'oeil, il semble très très intéressant.

Nanne a dit…

@ Manu : Alors, on oublie les défis que l'on se lance ! L'univers de Thierry Jonquet est très souvent noir sur fond de critique sociale. Ce qui caractérise celui-ci, c'est qu'il tranche sur les autres en raison du sujet. Il y parle de l'antisémitisme et de ce qui va se réaliser dans quelques années en Pologne sous l'occupation. Ce livre est à la limite du roman historique et social. C'est ce qui fait la différence ...

@ Michel : Je me suis doutée qu'avec le titre, j'allais susciter ta curiosité ! Réussi ...

@ Dominique : Pour les personnages décalés, ceux de ce roman le sont totalement. Par contre, il tranche avec ses autres ouvrages parce qu'il y a de l'humour noir, de l'intrigue mais pas de frisson ! Plutôt un rôle d'analyse sur une situation qui pouvait de prévoir ...

@ Lilibook : J'ai prévu d'autres ouvrages de cet auteur, dont "Les orpailleurs", "Du passé faisons table rase" et "Ils sont votre épouvante, vous êtes leur crainte" !

@ Émilie : Si tu aimes Jonquet, il faut lire ce roman qui est peu chroniqué, peut-être peu connu, mais très intéressant. Pas besoin de connaître l'histoire de la Pologne pour le lire ...

Marie a dit…

Ca fait un moment que j'essaie de me motiver pour lire un livre de Jonquet... Il faut vraiment que je le fasse !!! Mais je dois avouer que j'appréhende un peu l'univers de cet auteur.

Nanne a dit…

@ Marie : C'est le 1er roman de cet auteur que je lis, mais celui-ci est différent de l'ensemble de son œuvre qui contient parfois une certaine dose de violence psychique, voire physique. Ce livre est plein d'humour noir et sort de son registre. Il pourrait être une bonne introduction pour commencer Thierry Jonquet qui écrit très bien !

Emilie a dit…

J'ai acheté "le secret du rabbin" cette semaine, il ne me reste plus qu'à le lire maintenant.

Nanne a dit…

@ Émilie : J'espère qu'il te plaira autant qu'il m'a plu ! J'irai lire ton billet avec attention ...