- La petite fille de Monsieur Linh - Philippe Claudel - Livre de Poche n°30831
"C'est un vieil homme debout à l'arrière d'un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh. Il est seul à savoir qu'il s'appelle ainsi car tous ceux qui le savaient sont morts autour de lui". L'histoire de Monsieur Linh est celle de millions de personnes qui fuient leur pays en conflit, laissant derrière eux ce qu'ils ont de plus cher, leurs souvenirs, la beauté d'un paysage, le sourire et la gentillesse de leurs voisins et amis à jamais perdus. Ils n'emportent avec eux que quelques reliques, une poignée de terre parfois, quelques photos miraculeusement échappées de la destruction, vestiges d'un passé qui s'enfoncera lentement dans les brumes de la mémoire individuelle.
Parqué dans le dortoir d'une ville dont il ne connaît rien, pas même la langue, Monsieur Linh - surnommé Oncle par les familles réfugiées - n'ose pas sortir de crainte de se perdre dans les rues inconnues ou, pire, que lui soit subtilisée sa petite fille, son bien le plus précieux, le lien ténu avec son histoire. Cette ville ne ressemble à rien de ce qu'il a pu voir ou connaître dans sa vie antérieure. Ici, les gens sont pressés de se rendre nulle part. Il y a un ballet incessant d'automobiles, les magasins sont nombreux et remplis de marchandises presque inimaginables pour le vieil homme qu'il est. Rien de comparable à son village. "Au village, il n'y avait qu'une rue. Une seule. Le sol était de terre battue. Quand la pluie tombait, violente et droite, la rue devenait un ruisseau furieux dans lequel les enfants nus se coursaient en riant. Lorsqu'il faisait sec, les cochons y dormaient en se vautrant dans la poussière, tandis que les chiens s'y poursuivaient en aboyant. Au village, tout le monde se connaissait, et chacun en se croisant se saluait [...]. Le village en somme était comme une grande et unique famille, répartie dans des maisons dressées sur des pilotis, et sous lesquelles les poules et les canards fouillaient le sol et caquetaient". Dans cette nouvelle vie imposée par la force des événements, au milieu de tous ces gens indifférents aux autres, Monsieur Linh se sent seul, abandonné, comme échoué sur un rivage hostile. Son unique refuge est sa mémoire et l'avenir de sa petite fille si sage.
Heureusement, au milieu de cette jungle urbaine et mystérieuse, perdu dans les méandres d'une société dont il ne comprend ni les rites, ni les comportements, se trouve Monsieur Bark rencontré sur le banc d'un jardin public. Seule personne à lui avoir montré de la sympathie en lui parlant, même si Monsieur Linh ne comprend pas son monologue. Parce que M. Bark et Monsieur Linh sont deux êtres solitaires, l'un volubile, l'autre mutique. Monsieur Linh aime bien ce gros homme affable et s'attache à ses rencontres qui égayent son quotidien si gris, si terne. Monsieur Bark tranche sur les familles exilées avec qui Monsieur Linh doit partager le dortoir, qui le prennent pour un fou, un original parce qu'il refuse que sa petite fille joue avec leurs enfants. "Chaque jour, Monsieur Linh retrouve Monsieur Bark. Lorsque le temps le permet, ils restent dehors, assis sur le banc. Quand il pleut, ils retournent au café et Monsieur Bark commande l'étrange boisson, qu'ils boivent en serrant les tasses entre leurs mains. Désormais, le vieil homme dès qu'il se lève attend ce moment où il ira rejoindre son ami. Il se dit dans sa tête "son ami", car c'est bien de cela qu'il s'agit. Le gros homme est devenu son ami, même s'il ne parle pas sa langue, même s'il ne la comprend pas, même si le seul mot dont il se sert est "Bonjour". Ce n'est pas important". Puis, vient le jour où Monsieur Linh et sa petite fille doivent déménager parce que le dortoir ferme ses portes. On l'emmène dans un château avec un parc gigantesque d'où il peut voir la mer et la ville entière, mais sans pouvoir en sortir. Dès lors, Monsieur Linh n'a plus qu'une idée en tête, revoir son ami le gros homme, qui doit attendre sur le banc du parc et doit se demander pourquoi il l'a abandonné sa solitude, malgré la gentillesse dont il a fait preuve.
Une fois encore, Philippe Claudel nous parle de mémoire, de souvenir, dans "La petite fille de Monsieur Linh". A travers l'histoire de ce vieil homme, on comprend rapidement que c'est de la guerre dans un pays d'Asie - Cambodge, Vietnam - dont traite l'auteur dans ce roman. C'est une histoire d'exil, de déracinement, de perte de repères et de tout ce que l'on a laissé derrière soi sans espoir de retour. Une histoire de solitude aussi. Solitude de l'étranger qui doit se re-créer une nouvelle vie ailleurs ; mais aussi déréliction de ceux qui souffrent de l'individualisme des sociétés modernes. Et au-delà de tout cela, il y a l'amitié entre deux êtres seuls qui s'inscrit dans le temps, se grave dans la mémoire de Monsieur Linh et de Monsieur Bark. L'un comme l'autre se comprennent sans parler la même langue. Ils s'apprécient sans avoir la même culture. Ils sont tous deux liés par le poids de leur chagrin, de leur abandon. Quelque part, tous deux sont des exilés de l'existence. Mais contrairement à l'isolement de M. Bark, la claustration de Monsieur Linh est à la limite de la folie. En lisant "La petite fille de Monsieur Linh", le lecteur se demande tout au long de ce roman ce qui a bien pu créer une telle confusion mentale chez le personnage principal. Pourquoi s'attache-t-il autant à cette enfant au point de presque l'étouffer à force de vouloir la protéger ? Elle semble être son dernier soutien mental, son abri psychologique avant de sombrer dans l'aliénation. "La petite fille de Monsieur Linh" est un roman d'une grande sensibilité qui explore l'incidence d'un événement tragique sur notre mémoire et la force de l'amitié qui transcende toutes les différences.
Beaucoup ont lu ce roman, dont Papillon, Calepin, Marguerite, les rats de biblio, Biblioblog, Pitou, Midola, Tamaculture, Cathel, Amanda, les Chats de biblio, Lecture & Ecriture, Pimprenelle, Verbivore, Karine:), Lisa ... D'autres, peut-être. Merci de vous manifester par un petit mot en commentaire !
Parqué dans le dortoir d'une ville dont il ne connaît rien, pas même la langue, Monsieur Linh - surnommé Oncle par les familles réfugiées - n'ose pas sortir de crainte de se perdre dans les rues inconnues ou, pire, que lui soit subtilisée sa petite fille, son bien le plus précieux, le lien ténu avec son histoire. Cette ville ne ressemble à rien de ce qu'il a pu voir ou connaître dans sa vie antérieure. Ici, les gens sont pressés de se rendre nulle part. Il y a un ballet incessant d'automobiles, les magasins sont nombreux et remplis de marchandises presque inimaginables pour le vieil homme qu'il est. Rien de comparable à son village. "Au village, il n'y avait qu'une rue. Une seule. Le sol était de terre battue. Quand la pluie tombait, violente et droite, la rue devenait un ruisseau furieux dans lequel les enfants nus se coursaient en riant. Lorsqu'il faisait sec, les cochons y dormaient en se vautrant dans la poussière, tandis que les chiens s'y poursuivaient en aboyant. Au village, tout le monde se connaissait, et chacun en se croisant se saluait [...]. Le village en somme était comme une grande et unique famille, répartie dans des maisons dressées sur des pilotis, et sous lesquelles les poules et les canards fouillaient le sol et caquetaient". Dans cette nouvelle vie imposée par la force des événements, au milieu de tous ces gens indifférents aux autres, Monsieur Linh se sent seul, abandonné, comme échoué sur un rivage hostile. Son unique refuge est sa mémoire et l'avenir de sa petite fille si sage.
Heureusement, au milieu de cette jungle urbaine et mystérieuse, perdu dans les méandres d'une société dont il ne comprend ni les rites, ni les comportements, se trouve Monsieur Bark rencontré sur le banc d'un jardin public. Seule personne à lui avoir montré de la sympathie en lui parlant, même si Monsieur Linh ne comprend pas son monologue. Parce que M. Bark et Monsieur Linh sont deux êtres solitaires, l'un volubile, l'autre mutique. Monsieur Linh aime bien ce gros homme affable et s'attache à ses rencontres qui égayent son quotidien si gris, si terne. Monsieur Bark tranche sur les familles exilées avec qui Monsieur Linh doit partager le dortoir, qui le prennent pour un fou, un original parce qu'il refuse que sa petite fille joue avec leurs enfants. "Chaque jour, Monsieur Linh retrouve Monsieur Bark. Lorsque le temps le permet, ils restent dehors, assis sur le banc. Quand il pleut, ils retournent au café et Monsieur Bark commande l'étrange boisson, qu'ils boivent en serrant les tasses entre leurs mains. Désormais, le vieil homme dès qu'il se lève attend ce moment où il ira rejoindre son ami. Il se dit dans sa tête "son ami", car c'est bien de cela qu'il s'agit. Le gros homme est devenu son ami, même s'il ne parle pas sa langue, même s'il ne la comprend pas, même si le seul mot dont il se sert est "Bonjour". Ce n'est pas important". Puis, vient le jour où Monsieur Linh et sa petite fille doivent déménager parce que le dortoir ferme ses portes. On l'emmène dans un château avec un parc gigantesque d'où il peut voir la mer et la ville entière, mais sans pouvoir en sortir. Dès lors, Monsieur Linh n'a plus qu'une idée en tête, revoir son ami le gros homme, qui doit attendre sur le banc du parc et doit se demander pourquoi il l'a abandonné sa solitude, malgré la gentillesse dont il a fait preuve.
Une fois encore, Philippe Claudel nous parle de mémoire, de souvenir, dans "La petite fille de Monsieur Linh". A travers l'histoire de ce vieil homme, on comprend rapidement que c'est de la guerre dans un pays d'Asie - Cambodge, Vietnam - dont traite l'auteur dans ce roman. C'est une histoire d'exil, de déracinement, de perte de repères et de tout ce que l'on a laissé derrière soi sans espoir de retour. Une histoire de solitude aussi. Solitude de l'étranger qui doit se re-créer une nouvelle vie ailleurs ; mais aussi déréliction de ceux qui souffrent de l'individualisme des sociétés modernes. Et au-delà de tout cela, il y a l'amitié entre deux êtres seuls qui s'inscrit dans le temps, se grave dans la mémoire de Monsieur Linh et de Monsieur Bark. L'un comme l'autre se comprennent sans parler la même langue. Ils s'apprécient sans avoir la même culture. Ils sont tous deux liés par le poids de leur chagrin, de leur abandon. Quelque part, tous deux sont des exilés de l'existence. Mais contrairement à l'isolement de M. Bark, la claustration de Monsieur Linh est à la limite de la folie. En lisant "La petite fille de Monsieur Linh", le lecteur se demande tout au long de ce roman ce qui a bien pu créer une telle confusion mentale chez le personnage principal. Pourquoi s'attache-t-il autant à cette enfant au point de presque l'étouffer à force de vouloir la protéger ? Elle semble être son dernier soutien mental, son abri psychologique avant de sombrer dans l'aliénation. "La petite fille de Monsieur Linh" est un roman d'une grande sensibilité qui explore l'incidence d'un événement tragique sur notre mémoire et la force de l'amitié qui transcende toutes les différences.
Beaucoup ont lu ce roman, dont Papillon, Calepin, Marguerite, les rats de biblio, Biblioblog, Pitou, Midola, Tamaculture, Cathel, Amanda, les Chats de biblio, Lecture & Ecriture, Pimprenelle, Verbivore, Karine:), Lisa ... D'autres, peut-être. Merci de vous manifester par un petit mot en commentaire !
24 commentaires:
Un des mérites de Philippe Claudel est de prendre si totalement en coeur la souffrance des êtres pour nous la faire partager, et c'est cela ce qui m'a d'abord frappée avec cette " petite fille de Monsieur Linh" bouleversante dont je te remercie de parler si bien..
J'aurais voulu en parler, mais les mots me manquaient à la sortie de ce roman poignant..
Lu bien avant blog, mais j'ai adoré ce livre (et mouillé le mouchoir aussi).
Tu en parles TB
Pareil, gros coup de coeur pour ce roman très émouvant et à la chute si innatendue !
Nanne je suis en accord total avec ton avis, bouleversant et superbe, mais moi je ne l'ai pas lu, c'est un des premiers livres audio que j'ai écouté et c'était magnifique
Tu en parles très bien! Et je n'avais pas vu venir la fin...
@ Sybilline : Lire Philippe Claudel c'est se plonger immédiatement dans la profondeur des sentiments humains ! Il sait disséquer l'âme humaine et ses tourments ... C'est un roman qui laisse parfois perplexe sur le comportement des individus face à la tragédie !
@ Keisha : J'ai beaucoup aimé ce roman, même si ce n'est pas mon préféré ! J'ai été émue, mais pas jusqu'au larmes ...
@ Choco : C'est un roman dont la fin peut surprendre. On ne s'attend pas à une telle chute ! C'est un bon roman, mais pas un coup de cœur pour ce qui me concerne ...
@ Dominique : Tiens, il faudra que je me mette à écouter des lectures. Cela me changera de la lecture ! Mais ce roman est tout à fait indiqué pour être entendu. Il est court et très bien écrit avec beaucoup de sensibilité !
@ Kali : Merci encore. J'avais peur de passer à côté sans trahir l'essentiel de l'histoire ... Pas évident cette drôle de fin !
Je sais que je ne devrais pas l'avouer, car presque tout le monde a lu ce livre, mais ... hum hum je ne l'ai pas encore lu. Jusqu'ici je n'étais même pas attirée par lui, mais maintenant je dois avouer que tu me tentes bien :)
Je l'avais lu en début d'année (avant d'avoir ouvert le blog) et j'avais adoré cette lecture et je m'en souviendrais longtemps.
Je ne l'ai pas lu mais je ne suis pas fan de l'auteur. Je ne pensais pas que l'histoire ressemblait à ça.
j'ai vraiment beaucoup aimé ce livre aussi:)
Je l'ai lu aussi avant le blog et adoré comme tout ce que j'ai lu de Claudel.
@ Geisha Nellie : Il y a quand quelques personnes qui n'ont pas lu ce roman de Claudel, ni même l'auteur, d'ailleurs ! Tu n'as pas à avoir honte. Il y a tellement de livres à lire, que un de plus ou de moins, cela ne se remarque pas ...
@ Lilibook : Je crois que l'ensemble de l'œuvre de Philippe Claudel marque par ses thèmes et la puissance de son écriture. Il dit souvent beaucoup en peu de mots. C'est une grande qualité !
@ Manu : Tu dois être une des rares lectrices à ne pas être fan de cet auteur. Je ne veux surtout pas t'influencer, mais c'est un auteur de qualité qui possède une écriture merveilleuse et rare ! Et ce roman a une fin plutôt désarmante ...
@ Sylvie : Cela ne m'étonne pas du tout ! C'est une histoire très pudique et d'une grande sensibilité que j'ai beaucoup aimé.
@ Sylire : Je crois que dès que l'on commence avec Philippe Claudel, on ne s'en passe plus ! C'est presque un incontournable dans la littérature française contemporaine ...
Du pur bonheur que ce livre ! Je n'ai pas vu venir la fin non plus et c'est sans doute ce qui fait la force de ce livre :)
Avec Claudel, j'ai du mal ... je n'ai même pas fini "Les âmes grises". Du coup, je ne sais pas si je tente le coup avec celui-ci ou Brodeck ... Mais je retenterai cet auteur. ;)
Ce livre fut un grand coup de coeur pour moi :)
@ Anne : C'est un bon livre dont la fin est plutôt inattendue, mais dont on pressent quelques éléments au cours de cette lecture ! C'est un livre fort ...
@ Leiloona : Personnellement, si tu n'as pas terminé "Les Âmes grises", je te conseillerai plutôt un autre roman pour retenter la lecture de cet auteur, c'est "Le Café de l'Excelsior" qui est un petit roman court sur son grand-père. Un livre merveilleux qui pourrait te réconcilier avec Philippe Claudel ...
@ Anjelica : Je me doute un peu ! Personnellement, j'ai trouvé ce livre très bon, mais pas un coup de cœur ...
Je n'ai lu ton billet qu'en diagonale, car ce livre est déjà sur ma LAL! De Claudel je n'ai lu que Le Rapport de Brodeck, que j'ai beaucoup aimé.
@ Grominou : C'est un bon roman, mais celui que j'ai préféré de toutes mes lectures des livres de Philippe Claudel c'est "La café de l'Excelsior". J'ai le "Rapport de Brodeck" dans ma PAL, mais j'attends encore un peu avant de le lire ...
Je pensais avoir laissé un message sur ton article, mais non. Cette lecture a été pour moi assez mitigée, en fait je n'ai pas marché dans le stratagème et cela a pas mal gâché mon plaisir !
@ Antigone : En fait, en lisant ce roman il y a eu plusieurs allusions qui m'ont mise sur la piste de la conclusion ... Personnellement, ce n'est pas le livre de Philippe Claudel que je préfère ! J'ai encore "Le rapport de Brodeck" à lire, mais j'attends avant de le commencer. Pour les messages, il arrive parfois que blogger ne les enregistre pas toujours ...
J'ai lu ce roman il y a quelques mois, j'ai vraiment beaucoup aimé !
J'adore la sensibilité et la pudeur de cet auteur.
Je n'aurais jamais deviné la fin !
@ Marie : C'est tout à fait le sentiment que j'ai concernant l'écriture de Philippe Claudel. Pudique et sensible, simple et poétique à la fois. La fin est assez incroyable, même si j'avais perçu quelques éléments ! As-tu le lien, que je le rajoute à la liste des lectrices ?!
Je me suis laissé prendre par cette jolie histoire tendre et bein écrite.
@ Yv : Je crois que presque tous les lecteurs se sont laissés prendre à cette lecture tendre et très surprenante !
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