17 avril 2010

MAX JACOB, POETE ET MYSTIQUE

"On parle de Max Jacob. Je vois un ver luisant contre un mur : c'est Max qui écoute". (Raymond Queneau)


Au hasard de mes lectures, lorsque j'aperçois le nom de Max Jacob sur la couverture d'un ouvrage ou d'un recueil de poèmes, une image me vient de suite à l'esprit : celle d'un feu follet ou d'un ludion, espiègle et toujours prêt pour quelques fantaisies avec ses amis. Mais aussi celle d'un homme à l'esprit d'enfant, généreux, libre, débordant de joie et plein d'esprit. Un inventeur des mots et des situations. L'art moderne lui doit beaucoup. Drôle de personnage que Max Jacob, quand même. Né à Quimper, d'un père tailleur d'origine allemande et d'une mère bretonne, il passera de l'athéisme juif à la ferveur catholique après deux apparitions du Christ et de la Vierge. En fait, Max Jacob est deux personnes. Non pas double ou dual. Un peu comme les schizophrènes. Peut-être l'était-il un peu ? Des quartiers de Paris à l'abbaye de Saint-Benoît sur Loire, du dandysme mondain à la retraite spirituelle et religieuse, Max Jacob sera toujours deux.

Son histoire commence avec le 20ème Siècle, sur les hauteurs de la Butte Montmartre. Après des études de droit classiques et un brin austères, Max Jacob devient critique d'art pour le "Moniteur". C'est la Belle Époque. C'est l'époque de la Bohème. Au détour d'une exposition, il rencontre Picasso, en 1901. Il lui vouera une amitié indéfectible. Viendront ensuite Apollinaire, Van Dongen, Eluard, Braque, Salmon, Juan Gris. Et d'autres. Avec la création du "Bateau-Lavoir" - le mot aurait été inventé par Max Jacob lui-même - il est alors le témoin privilégié de la naissance d'un courant inspiré par l'art Nègre : le Cubisme. Il assistera à la genèse des "Demoiselles d'Avignon", première œuvre cubiste de son ami Picasso. Max Jacob fréquentera la bohème montmartoise. Il sera de toutes les parties artistiques et de tous les paris littéraires. C'est aussi l'époque où il entreprend de réinventer la poésie en prose. Parallèlement à l'écriture, Max Jacob s'essaiera à la peinture. Il exposera régulièrement ses gouaches inspirées de paysages Bretons, de Paris, du Val de Loire ou par des scènes de cirque qu'il affectionne particulièrement.

Seulement, entre 1904 et 1910 Max Jacob découvre enivrement des vapeurs d'opium et d'éther. Il paraît qu'il se promenait avec un mouchoir imbibé d'éther qu'il reniflait constamment. A tel point que les effluves de sa personne l'annonçaient en société. Il en est pénétré. Est-ce au lendemain d'une inhalation d'alcool que Max Jacob croise le Christ en visite chez lui, rue Ravignan ? Nul ne le sait. En 1909, il lui apparaît une première fois. Comme si cela ne suffisait pas, c'est au tour de la Vierge Marie de le visiter en 1914. Ces deux apparitions le convainquent définitivement de changer de vie. Il devient profondément croyant, mystique même. Il avait trente-trois ans lors de sa première vision. L'âge du Christ mis en croix. Tout un symbole ! Tout le monde rigole, ricane, se moque. Picasso le prend pour un illuminé. Apollinaire pense qu'il est sous l'effet d'une drogue. Aragon - bientôt surréaliste - se moque déjà de la religion. Il n'empêche. Max est baptisé chrétien au petit matin. Son parrain est Picasso. Son nouveau nom de baptême et de rédemption est Cyprien Max Jacob.

Dès cet instant, il ne sera plus jamais le même. Concernant sa conversion, il écrira : "Rien ne me préparait au coup de foudre qui brûla d'un coup mon passé en septembre 1909 et fit naître en moi un homme nouveau." A partir de 1921 et jusqu'en 1928, Max Jacob s'installe à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire en tant qu'oblat. Il reprend le dessin et la peinture, laissés un temps au profit de l'écriture et de ses vieux démons. A cette époque, son mysticisme s'accroît et il pressent les événements tragiques futurs. De 1928 à 1935, il retourne à Paris et à ses folies. Il s'abandonne à nouveau au dandysme et aux mondanités. Il vit entouré d'une nouvelle génération de poètes qui voient en lui l'inventeur de la poésie moderne. En 1936, il rentre définitivement dans sa coquille protectrice en l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Ses dernières années seront consacrées à prophétiser la catastrophe qui s'annonce. Il comprend très vite le martyre qui l'attend pour lui et pour sa famille.

Quand la guerre éclate, bien que chrétien, il porte l'étoile juive au revers de sa veste et la croix sur le cœur. Il est arrêté par la Gestapo le 24 février 1944. Bien que malade et affaibli, il est envoyé à Drancy avant-poste de son chemin de croix sans croix. Il s'éteint le 5 mars 1944 dans ce camp, alors que Jean Cocteau - autre grand ami de Max Jacob - avait fait le nécessaire auprès des autorités allemandes pour le faire libérer. Trop tard pour celui qui a tant aidé et soutenu. Durant toute sa vie, Max Jacob sera non seulement un "inventeur d'art" de génie, mais aussi un "découvreur de talents". Il a sans cesse encouragé peintres, écrivains, poètes, musiciens dans leurs recherches, rédigeant des préfaces aux œuvres, servant d'intermédiaires avec ses amis et relations. Beaucoup lui sont redevables de ce qu'ils devenus plus tard. Il se dit même qu'on lui aurait volé le surréalisme.

Voilà qui était Max Jacob. Deux et un à la fois : le Juif et le Chrétien ; le précieux et le converti ; l'excessif et le sage ; le scandaleux et le meurtri ; le public et le reclus ; le coupable et le martyr.

Ses principales œuvres :

Saint Matorel - 1911

Œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel - 1912

Le cornet à dés - 1917

La défense de Tartufe - 1919

La laboratoire central - 1921

Le cabinet noir - 1922

Filibuth et la montre en or - 1923

Bourgeois de France et d'ailleurs - 1932

Ballades - 1938

8 commentaires:

Dominique a dit…

Un drôle d'homme effectivement, je ne suis pas très sensible à sa poésie mais l'homme est attachant
j'ai oublié le titre mais il y a un film sur la fin de sa vie que j'ai vu il y a quelques mois et que j'ai bien aimé

dominique a dit…

J'aime profondément le Cornet à dés, c'est un de mes livres de chevets.
J'ai acheté le Laboratoire central, je ne l'ai pas encore lu.
Max Jacob est un homme sympathique ambigu surprenant, on ne peut pas vraiment le définir...

Nanne a dit…

@ Dominique : C'était un personnage plutôt singulier. Je le préfère l'écrivain au poète, d'ailleurs. Le film dont tu fais référence est sans doute "Monsieur Max" avec JC Brialy qui est passé sur Arte ! Ses œuvres méritent d'être plus connues pour leur originalité ...

@ dominique : Je possède "Le Cornet à dès", mais je reconnais que j'ai du mal avec ses poèmes. Je lui préfère largement ses romans, beaucoup plus singuliers. J'ai déjà lu "Filibuth ou la montre en or" et je reconnais que j'ai beaucoup aimé le côté absurde de l'histoire. Le personnage est très attachant, malgré ses ambiguïtés et son mysticisme. C'est dommage qu'il soit aussi peu connu et reconnu !

Lounima a dit…

Je ne connaissais pas ce poète mais ton article, vraiment très réussi et instructif, viens de m'éclairer ! ;-)

Nanne a dit…

@ Lounima : Malheureusement, Max Jacob est souvent très mal connu, voire inconnu de la plupart d'entre nous ! En écrivant ce tout petit article à sa mémoire c'est vouloir le remettre un peu sur le devant de la scène, même si je lui préfère ses romans à ses poèmes, très singuliers ...

benoit a dit…

Pour mieux comprendre les mille et une facettes de
Max Jacob, rien de mieux, je crois que la lecture
De ses lettres au peintre-postier René Rimbert
(Rougerie, 1983).
Amicalement.
Benoit.

Nanne a dit…

@ Benoît : Merci beaucoup pour cette référence littéraire qui aide à mieux comprendre la complexité de la personnalité de Max Jacob ...

benoit a dit…

@nanneMerci. On y trouve par exemple ceci (2ème lettre au jeune peintre, 1921) : " Quelle déception vous aurez ! Je suis un petit vieux avec une grosse figure rougeaude, de grands pieds. Je suis chauve, bête. Je n'ai pas de dents. Je suis imbécile, gâteux, distrait, méchant, pieux, larmoyant, conteur, bavard. Je ne parle que de moi, me plaint de tout le monde. Je suis sale, mal habille, prétentieux, bonasse, jaloux et incapable de conversations suivies mais ass aimable et poli." pas mal, non ? Amicalement. Benoit.