- Café viennois - Michèle Halberstadt (Livre de Poche n°30931)
"Partir avec sa mère. Quelle drôle d'idée. Clara voyageait toujours seule. Une interview. Une valise. Une chambre d'hôtel. Un entretien à faire, un papier à écrire. Une journée à passer pour se sentir en vie. partir avec sa mère. Faire l'égoïste. Se comporter comme si elle était seule, célibataire. Oublier mari et enfant. Essayer de trouver les mots. Avoir le courage de se mettre à nu devant le seul être au monde qui ne la jugera pas".
Frieda est tout à son bonheur de pouvoir accompagner Clara pour un séjour mère - fille à Vienne, en Autriche. Des vacances entre elles seules, sans homme et sans enfant. Frieda est la gaieté incarnée. Drôle et avenante, elle charme tout le monde, et donne même de l'élan à sa fille dans son quotidien de femme, de mère et de journaliste ; elle qui en possède de moins en moins. Elles sont si différentes, mais semblables, parce que du même sang.
Vienne, la ville d'origine de Frieda, née Hartmann. Vienne, que Frieda n'a plus revu depuis cinquante-quatre ans. A peine le pied posé sur le sol autrichien, les souvenirs refluent comme une crue du Danube. Elle voulait présenter sa ville à Clara, sa fille. Lui faire bénéficier de sa splendeur, de ses trésors enfouis. "Elle se souvenait de tout. L'historique des monuments, le noms exact des vingt-trois arrondissements, le tracé du Danube, l'adresse de la maison de Freud et le patois local pour expliquer à un marchand des rues comment elle voulait qu'il accommode leurs saucisses".
Premier accroc, un vieil immeuble dans une rue sombre. Trente-trois marches. De l'entresol au premier étage. Et, d'un coup, tout revient comme un arrière goût d'amertume, la montée du nazisme et de l'antisémitisme en Autriche, la peur de tous et les angoisses d'Éva - la propre mère de Frieda - que Ernst, le père, ne peut plus calmer par quelques paroles de réconfort. A treize ans, Frieda vient de comprendre qu'elle est de trop, qu'elle doit partir, quitter son pays, anéantir ses souvenirs, oublier son passé.
Ainsi, depuis son arrivée à Vienne, Clara prenait lentement conscience de l'impact de ce voyage sur Frieda. Tout ce qu'elle avait jusque-là caché, enfoui, nié, balayé d'un revers de main comme on chasse une improbable poussière, ressurgissait, refaisait surface. Elle qui croyait bien connaître sa mère, découvrait une tout autre personne, femme fragile à la sensibilité exacerbée. Surtout, l'Autriche n'était pour Clara qu'une réminiscence culinaire, fait de subtils arômes des gâteaux et sucreries au massepain, sur un fond de valses de Strauss et de lecture de Vicky Baum. Avait-elle besoin de lui cacher l'histoire de sa vie d'avant, d'être aussi pudique sur ses souffrances psychiques, elle qui paraissait si expansive. Maintenant que Clara avait - elle aussi - souffert, elle se sentait prête à entendre l'histoire de sa mère. Une histoire d'errance, de fuite, de course effrénée vers la liberté.
Enfin, le choix de la France comme terre d'exil et l'apprentissage par Frieda de l'élégance parisienne. C'est décidé pour elle, puisque l'Autriche ne veut plus de Frieda Hartmann et des siens, Frieda prendra la France pour patrie. "Elle qui venait de laisser derrière elle la ville la plus fascinante, la plus cultivée d'Europe, refusait d'être une réfugiée, ce mot atroce qui signifiait qu'on n'était plus chez soi nulle part. Puisqu'elle ne pouvait être viennoise, alors elle serait parisienne, c'est-à-dire nonchalante, assurée, naturellement élégante, à l'image de ces femmes dont elle passait des heures en terrasse à détailler inlassablement la silhouette et la mise".
Alors que Clara se promet de guérir du mal qui l'obsède et la ronge, Frieda - enfant - n'aura pas le temps de profiter de sa jeune vie parisienne. Il lui faut fuir, à nouveau. La débâcle l'amènera de Houlgate à Riva Bella, avant d'atterrir à Périgueux. Périgueux, la ville de la paix intérieur retrouvée, de la sérénité, du bonheur de vivre. Comme un jour de vacances ensoleillé qui ne finira jamais. Mais Périgueux ne sera qu'un refuge provisoire et illusoire. Il lui faudra fuir encore et toujours devant le danger, les mesures anti-juives, les rafles.
Il faudra à Clara l'opportunité d'un reportage sur le film de Carol Reed, "Le Troisième Homme", pour pouvoir comprendre Vienne et s'approprier l'histoire de Frieda. Elle repartira seule sur les pas de sa mère, de son passé, de ses origines, recherchant les lieux où elle a vécu, ceux qu'elle a fréquentés pour s'imprégner de leur atmosphère, accepter ses racines et être - enfin - elle-même.
Dans "Café viennois" le lecteur est très vite saisi d'un sentiment d'oppression, d'angoisse, de peur. Il pressent et comprend dès les premières pages que Vienne et Frieda sont inexorablement liées pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Ce livre est un subtil chassé-croisé entre passé troublé et présent agité. On sent la pesanteur lorsque Frieda critique la lâcheté de l'Autriche, son immobilisme, sa bienveillante neutralité à l'égard du nazisme et son repli dans un glorieux passé. Mais une certaine légèreté vient contrebalancer ce douloureux magma. Légèreté des cafés viennois, de leurs pâtisseries, des croissants feuilletés et de leur origine, de la trop fameuse Sacher torte de chez Demel. Douceur des intérieurs feutrés et ouatés des habitations, des salons de thé, des théâtres. Surtout, "Café viennois" raconte - par-delà la simple relation mère - fille -, le rapport à la mémoire et la place donnée aux souvenirs dans une filiation. Vienne, ville splendeur, ville musée, tout à la fois capitale et provinciale, belle au bois dormant, est magnifiée avant d'être haïe. C'est un livre que l'on prend plaisir à lire autant pour la description et l'atmosphère des cafés que pour l'histoire de l'Autriche qui sert de toile de fond au roman et lui donne un arrière-goût cinématographique qui nous fait invariablement penser au "Troisième Homme" de Reed.
Liredire retiendra de ce roman l'émotion douce qui s'en dégage tout au long de sa lecture, Sol n'a pas aimé le style d'écriture de l'auteur qui l'a tenue à distance de l'histoire, Mireille a beaucoup aimé pour l'ambiance qui s'y dégage, Clarabel a aussi aimé ce roman, particulièrement le côté culinaire du sujet, Florinette nous parle de l'auteure, Moustafette qui a apprécié ce livre pour sa sympathique balade dans l'histoire d'un pays qui n'a pas trop culpabilisé après la guerre sur son comportement.
Frieda est tout à son bonheur de pouvoir accompagner Clara pour un séjour mère - fille à Vienne, en Autriche. Des vacances entre elles seules, sans homme et sans enfant. Frieda est la gaieté incarnée. Drôle et avenante, elle charme tout le monde, et donne même de l'élan à sa fille dans son quotidien de femme, de mère et de journaliste ; elle qui en possède de moins en moins. Elles sont si différentes, mais semblables, parce que du même sang.
Vienne, la ville d'origine de Frieda, née Hartmann. Vienne, que Frieda n'a plus revu depuis cinquante-quatre ans. A peine le pied posé sur le sol autrichien, les souvenirs refluent comme une crue du Danube. Elle voulait présenter sa ville à Clara, sa fille. Lui faire bénéficier de sa splendeur, de ses trésors enfouis. "Elle se souvenait de tout. L'historique des monuments, le noms exact des vingt-trois arrondissements, le tracé du Danube, l'adresse de la maison de Freud et le patois local pour expliquer à un marchand des rues comment elle voulait qu'il accommode leurs saucisses".
Premier accroc, un vieil immeuble dans une rue sombre. Trente-trois marches. De l'entresol au premier étage. Et, d'un coup, tout revient comme un arrière goût d'amertume, la montée du nazisme et de l'antisémitisme en Autriche, la peur de tous et les angoisses d'Éva - la propre mère de Frieda - que Ernst, le père, ne peut plus calmer par quelques paroles de réconfort. A treize ans, Frieda vient de comprendre qu'elle est de trop, qu'elle doit partir, quitter son pays, anéantir ses souvenirs, oublier son passé.
Ainsi, depuis son arrivée à Vienne, Clara prenait lentement conscience de l'impact de ce voyage sur Frieda. Tout ce qu'elle avait jusque-là caché, enfoui, nié, balayé d'un revers de main comme on chasse une improbable poussière, ressurgissait, refaisait surface. Elle qui croyait bien connaître sa mère, découvrait une tout autre personne, femme fragile à la sensibilité exacerbée. Surtout, l'Autriche n'était pour Clara qu'une réminiscence culinaire, fait de subtils arômes des gâteaux et sucreries au massepain, sur un fond de valses de Strauss et de lecture de Vicky Baum. Avait-elle besoin de lui cacher l'histoire de sa vie d'avant, d'être aussi pudique sur ses souffrances psychiques, elle qui paraissait si expansive. Maintenant que Clara avait - elle aussi - souffert, elle se sentait prête à entendre l'histoire de sa mère. Une histoire d'errance, de fuite, de course effrénée vers la liberté.
Enfin, le choix de la France comme terre d'exil et l'apprentissage par Frieda de l'élégance parisienne. C'est décidé pour elle, puisque l'Autriche ne veut plus de Frieda Hartmann et des siens, Frieda prendra la France pour patrie. "Elle qui venait de laisser derrière elle la ville la plus fascinante, la plus cultivée d'Europe, refusait d'être une réfugiée, ce mot atroce qui signifiait qu'on n'était plus chez soi nulle part. Puisqu'elle ne pouvait être viennoise, alors elle serait parisienne, c'est-à-dire nonchalante, assurée, naturellement élégante, à l'image de ces femmes dont elle passait des heures en terrasse à détailler inlassablement la silhouette et la mise".
Alors que Clara se promet de guérir du mal qui l'obsède et la ronge, Frieda - enfant - n'aura pas le temps de profiter de sa jeune vie parisienne. Il lui faut fuir, à nouveau. La débâcle l'amènera de Houlgate à Riva Bella, avant d'atterrir à Périgueux. Périgueux, la ville de la paix intérieur retrouvée, de la sérénité, du bonheur de vivre. Comme un jour de vacances ensoleillé qui ne finira jamais. Mais Périgueux ne sera qu'un refuge provisoire et illusoire. Il lui faudra fuir encore et toujours devant le danger, les mesures anti-juives, les rafles.
Il faudra à Clara l'opportunité d'un reportage sur le film de Carol Reed, "Le Troisième Homme", pour pouvoir comprendre Vienne et s'approprier l'histoire de Frieda. Elle repartira seule sur les pas de sa mère, de son passé, de ses origines, recherchant les lieux où elle a vécu, ceux qu'elle a fréquentés pour s'imprégner de leur atmosphère, accepter ses racines et être - enfin - elle-même.
Dans "Café viennois" le lecteur est très vite saisi d'un sentiment d'oppression, d'angoisse, de peur. Il pressent et comprend dès les premières pages que Vienne et Frieda sont inexorablement liées pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Ce livre est un subtil chassé-croisé entre passé troublé et présent agité. On sent la pesanteur lorsque Frieda critique la lâcheté de l'Autriche, son immobilisme, sa bienveillante neutralité à l'égard du nazisme et son repli dans un glorieux passé. Mais une certaine légèreté vient contrebalancer ce douloureux magma. Légèreté des cafés viennois, de leurs pâtisseries, des croissants feuilletés et de leur origine, de la trop fameuse Sacher torte de chez Demel. Douceur des intérieurs feutrés et ouatés des habitations, des salons de thé, des théâtres. Surtout, "Café viennois" raconte - par-delà la simple relation mère - fille -, le rapport à la mémoire et la place donnée aux souvenirs dans une filiation. Vienne, ville splendeur, ville musée, tout à la fois capitale et provinciale, belle au bois dormant, est magnifiée avant d'être haïe. C'est un livre que l'on prend plaisir à lire autant pour la description et l'atmosphère des cafés que pour l'histoire de l'Autriche qui sert de toile de fond au roman et lui donne un arrière-goût cinématographique qui nous fait invariablement penser au "Troisième Homme" de Reed.
Liredire retiendra de ce roman l'émotion douce qui s'en dégage tout au long de sa lecture, Sol n'a pas aimé le style d'écriture de l'auteur qui l'a tenue à distance de l'histoire, Mireille a beaucoup aimé pour l'ambiance qui s'y dégage, Clarabel a aussi aimé ce roman, particulièrement le côté culinaire du sujet, Florinette nous parle de l'auteure, Moustafette qui a apprécié ce livre pour sa sympathique balade dans l'histoire d'un pays qui n'a pas trop culpabilisé après la guerre sur son comportement.
15 commentaires:
J'ai plus ou moins accroché à Mlle Paradis, du même auteur, mais on m'a vivement conseillé celui-ci... et pour Vienne, je crois que j'aimerai! Elle me fait rêver, cette ville!
J'ai préféré de loin celui-ci à Mlle Paradis qui ne m'a pas emballée.
Ce billet donne envie d'aller faire un petit tour à Vienne, c'est une ville que j'aime, le ton de ce roman est à l'évidence moins "dur" que celui des auteurs autrichiens comme Jelinek, ou Joseph Winkler mais tu en parles très bien et c'est si bon de se laisser tenter...
J'avais beaucoup aimé, c'est vrai !
En général, j'aime les livres qui traitent de la vie des gens pendant la guerre.
J'aime beaucoup, comme d'habitude, le soin que tu as apporté au choix de tes illustrations. La dernière est magnifique.
@ Karine:) : Je n'ai pas encore lu son second roman, et je crois que j'attendrai parce que celui-ci est une petite réussite ... Je te conseille de le lire, rien que pour les passages sur les cafés viennois et la ville ;-D
@ Mireille : Pour le moment, je reste sur un a priori positif, n'ayant pas lu le second roman ! Je ne tente pas le diable.
@ Dominique : Il est évident que le ton de ce roman n'a rien à voir avec ceux de Jelinek dans l'atmosphère et le rendu des situations ... C'est un roman parfois lourd en raison de l'histoire de l'Autriche, mais pas violent ou difficile à lire. Et puis, rien que pour Vienne, on peut le faire !
@ Clarabel : J'avais lu ton article et avais remarqué ce livre sur ton blog ... Donc, merci pour ce bon tuyau !
@ Manu : C'est un livre entre passé et présent, et très plaisant à lire. Merci pour ce compliment ! J'ai presque terminé "Le cercle ..." que j'adore et qui me faire rire aux larmes ;-D
J'ai bien aimé l'incroyable histoire de mademoiselle paradis de cette auteur...
Et j'ai noté depuis longtemps ce titre là, moustafette m'avait déjà donné très envie de le lire...
Tu confirme.
Il faut qu'il arrive dans ma pal...
Il n'y est toujours pas:)
Je le note sur ma LAL ! A priori, ce livre a tout pour me séduire. Déjà rien que le mot "Vienne" m'a mis la puce à l'oreille. Et les éléments que tu en dégages m'attirent tout autant !
@ Sylvie : Je te confirme à nouveau, c'est vraiment un bon petit livre à lire pour l'atmosphère qui s'y dégage et pour Vienne ... Je peux te le prêter !
@ Alwenn : Si tu aimes Vienne et sa douceur de vivre, alors ce petit livre est pour toi ... Et le thème abordé est très bien traité ! Je réitère ma proposition faite à sylvie, il peut voyager ...
Et bien dis donc tu donnes vraiment envie d'ouvrir ce livre Nanne !! Je ne sais plus si je l'avais noté, je le re-note !!!
Comme Antigone : je note ce livre pour l'ambiance feutrée des cafés qui contrebalance une histoire pas si légère que ça.
@ Antigone : Merci beaucoup. Ce livre est vraiment très beau par l'ambiance qui se dégage et l'histoire racontée ...
@ Leiloona : Je te rassure de suite, l'histoire n'est pas très drôle, mais elle n'est pas triste non plus. Disons qu'elle permet au lecteur de (re)découvrir le comportement de l'Autriche vis-à-vis de sa communauté juive ...
Il va falloir que je découvre celui-ci, car j'ai beaucoup aimé "Melle Paradise" ! ;-)
@ Florinette : Je n'ai pas encore lu "Melle Paradis", mais celui-ci est vraiment à découvrir pour les descriptions de Vienne et de ses cafés !
Merci nanne pour ce prêt! j'ai beaucoup aimé ce livre sensible et très bien construit.
Comme je tiens mon carnet d'adresse à peu près aussi bien que je traite mes pal... Peux tu me renvoyer ton adresse par mail pour que je te rende le livre ?
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