- Dans la famille Mann, je demande le fils
Pour ceux et celles qui ne s'en seraient pas encore rendus compte, j'avoue une attirance particulière pour la littérature allemande. Je la trouve tout à la fois romantique et exaltée, envoûtante et intense, avec une troublante acuité. Je concède que celle-ci ne capte pas toujours l'intérêt des lecteurs. Et c'est bien dommage. Ils y trouveraient de réels petits bijoux à apprécier et s'en délecteraient. Au cours de mes explorations chez les écrivains allemands, j'ai trouvé Klaus Mann. Je connaissais le père - Thomas Mann - et l'oncle - Heinrich Mann - je suis partie à la rencontre du 3ème du nom. Celle-ci s'est transformée en un réel coup de foudre.
Klaus Heinrich Thomas Mann est né à Munich, en novembre 1906. Il arrive un an, jour pour jour, après sa sœur Erika. Les "enfants terribles" de Thomas Mann, surnommé "Le magicien" par Klaus, seront élevés comme des jumeaux et seront très proches l'un de l'autre tout au long de leur vie. A tel point que de sombres rumeurs d'inceste ne se dissiperont jamais concernant l'ambiguïté de leurs relations. Toute sa vie durant, Klaus Mann se débattra pour exister par lui-même et se faire un prénom, à défaut d'un nom déjà connu et auréolé du prestigieux Prix Nobel de Littérature en 1929, obtenu par son père, surdoué de la littérature allemande.
Son enfance munichoise est rythmée par les visites des amitiés intellectuelles, artistiques et politiques de son père. Difficile, dès lors, de ne pas être influencé par cet environnement propice aux découvertes littéraires et aux engagements politiques futurs. En 1915, il est hospitalisé plusieurs mois suite à une appendicite aiguë. "En me frôlant, l'ombre de la mort m'a laissé son empreinte", écrira-t'il plus tard. Désormais, l'idée de la mort le hantera en permanence. Son adolescence est perturbée. Il s'éveille à l'homosexualité, ce qui lui vaudra les foudres des bien-pensants et des bigots de l'époque. Mais pas seulement. Les relations avec son père sont difficiles, voire conflictuelles, lui qui jette un œil intransigeant et exigeant sur le travail de son fils. Klaus Mann cherchera jusqu'au bout la reconnaissance de ce père qu'il admire. De même, sa dépendance aux drogues dures qu'il consommera régulièrement dès les années 20 lui fera alterner cures de désintoxication et rechutes, sans jamais pouvoir décrocher. Très tôt, il sera victime d'un syndrome dépressif qui ne le quittera plus, et dont l'ardeur de son engagement intellectuel ne compensera jamais.
Néanmoins, malgré son homosexualité Klaus Mann se fiance en 1924 avec Pamela Wedekind. Cette même année il devient critique artistique à Berlin et publie ses premiers écrits dans divers journaux. En 1928, après avoir voyagé à travers le monde avec Erika sa sœur, son double, Klaus Mann fait la connaissance d'André Gide, de Jean Cocteau et de René Crevel, dont il devient l'ami très intime. De cette rencontre avec André Gide, il écrira un excellent essai en 1943 : "André Gide et la crise de la pensée." Cette influence - décisive - le fera évoluer de l'esthétisme vers un engagement moraliste.
Opposant de la première heure au nazisme, Klaus Mann contredira l'image de dandy, de jeune homme futile et décadent que l'on s'imagine facilement, compte tenu de son milieu et de sa façon de vivre. Il mesure très vite l'ampleur du danger qui menace son pays et l'Europe. Il quitte l'Allemagne en 1933 et mobilisera inlassablement en Europe l'opposition intellectuelle contre le nazisme. En exil à Amsterdam, il fonde une revue littéraire anti-nazie "Die Sammlung" à laquelle participe de nombreux intellectuels de langue allemande. En 1935, déchu de la nationalité allemande par le régime en place, il obtient la citoyenneté tchécoslovaque. En 1938, il s'installe aux États-Unis, après une participation à la guerre d'Espagne en tant que correspondant. Il publie en 1939 "Escape to life", un livre témoignage sur l'émigration allemande, encensé par la critique et le public à sa sortie. En 1939, la sortie de "Volcan", son roman le plus important et le plus ambitieux, est l'occasion de cette reconnaissance paternelle, tant attendue, tant voulue, tant espérée. "Je l'ai lu de bout en bout, avec émoi et amusement ... Plus personne ne contestera que tu es meilleur que la plupart. Ce qui explique ma satisfaction en te lisant."
Dégoûté par la langue allemande, pervertie par le nazisme et ses horreurs, Klaus Mann écrira son autobiographie en anglais en 1942, "Le tournant", reprise après la guerre en allemand. C'est un témoignage exceptionnel sur la vie littéraire et intellectuelle allemande des années 1920, sur les espoirs et les désillusions d'une génération face à la République de Weimar et sur la condition des exilés allemands. Naturalisé américain en 1943, il s'engage dans l'armée auprès du service de propagande où il participe à la "guerre psychologique" en Italie, puis lors de la campagne d'Allemagne. En 1945, il retourne à Munich et retrouve la maison familiale pillée et endommagée. Cette vision le perturbera beaucoup, de même que sa fonction d'interprète auprès de Goering lors de son interrogatoire pour le procès de Nuremberg. Après la guerre, Klaus Mann se propose de participer à la dénazification de la société allemande, mais s'aperçoit que les écrivains exilés sont méconnus dans leur pays et - souvent - sans avenir. Entre cette Allemagne en ruines qu'il retrouve et lui, le divorce est définitif, et rien ne comblera cet abîme d'incompréhension.
En proie à de graves problèmes financiers, désespéré par les suicides de ses amis, profondément déprimé, drogué, il se suicide à Cannes en mai 1949. Thomas Mann écrira à Herman Hesse à son sujet : "Mes rapports avec lui étaient difficiles et point exempts d'un sentiment de culpabilité puisque mon existence projetait par avance une ombre sur la sienne [...]. Il travaillait trop vite et trop facilement."
Il nous faudra attendre les années 1970 - 1980 pour voir ses œuvres publiées ou réimprimées. Celui qui n'avait été - aux yeux de tous - que le fils prodigue de Thomas Mann, sera enfin reconnu comme l'un des écrivains les plus originaux et parmi les meilleurs de sa génération.
Ses principales œuvres
- Fuite au nord (1934) - Roman
- La symphonie pathétique (1935) - Roman sur la vie de Tchaïkowski
- Méphisto (1936) - Un des 20 meilleurs romans du 20ème Siècle
- Le volcan (1939) - Roman de l'émigration allemande
- Escape to life (1939) - Roman (Fuir pour vivre)
- Speed (1939) - Nouvelles
- André Gide et la crise de la pensée moderne (1943) - Essai
- Le tournant (1952) - Autobiographie
Un lien vers le blog de Pierre Assouline qui parle de la Saga de la famille Mann, téléfilm diffusé sur la chaîne histoire.
19 commentaires:
Je suis très attirée par cet auteur :) J'espère que tu gardes le cap ! Bonne soirée !
Que j'aime ce genre de billet! C'est une famille qui me fascine depuis longtemps! J'ai tellement aimé les romans du père! Quant au destin de son fils, il est tout à fait poignant! Il fait partie de ces grands suicidés allemands d'après guerre qui ne se sont jamais résignés!
Quant au Tag promis, bravo de tenir ta parole! :)
Je ne connais pratiquement rien à la littérature allemande et j'ai lu ton billet avec intérêt. Merci, c'est très agréable à lire.
Très belle présentation Nanne, je suis, comme toujours, très admirative et intéressée... ;-)
Ton billet, comme d'habitude, Nanne est des plus intéressants. J'ai commencé à lire cet auteur et compte bien continuer; son écriture est tellement riche!
J'aime certains auteurs allemands. Par contre, j'ai tellement souffert à la lecture de la Montagne magique de Thomas Mann que j'hésite à lire le fils...
Je connais très mal la littérature allemande, mais j'ai prévu de m'y mettre prochainement. Bien sûr, Thomas est sur ma liste, mais je ne connaissais pas du tout le fils.
J'avais suivie une série télé sur la famille Mann, qui n'était pas transcendante, mais çà m'avait permis d'apprendre beaucoup de choses que j'ignorais. J'espère trouver le temps de le lire un jour.
@ Celsmoon : Essaie de le découvrir par ses œuvres. Elles sont magnifiques ! J'ai une préférence particulière pour "Le tournant", autobiographie, réédité chez Babel poche, il me semble ... Pour le cap, j'essaie de le maintenir vaille que vaille ! Heureusement, il y a la lecture et les blogs pour s'évader !
@ Mango : J'en ai d'autres en réserve, sur d'autres auteurs et artistes ... J'aime ça, chercher, fouiller, lire pour écrire des articles très personnels ! Le père était un surdoué de la littérature, mais le fils était un vrai génie méconnu et d'une sensibilité à fleur de peau. Ce qui l'a poussée au suicide et cela a été un vrai gâchis, comme toujours ! Pour le tag, je vais le publier très rapidement, il n'a que trop attendu ...
@ Ys : Maintenant que tu as pris plaisir à lire une (très) courte présentation de Klaus Mann, il ne te reste plus qu'à le découvrir ! Je te conseillerais "Le Tournant", son autobiographie, ou encore "Méphisto" jugé comme l'un des 20 meilleurs livres du 20ème Siècle. Une sacré référence !
@ Lounima : Merci pour le compliment ! Mais on ne parle bien que de ce que l'on aime ... C'est mon cas concernant cet auteur très peu lu et connu en France. Ce qui est dommage ! Son père, Thomas Mann et son oncle, Heinrich Mann, lui ont fait un peu trop d'ombre, à mon sens ... Mais c'est l'occasion de découvrir un auteur d'un immense talent !
@ Alicia : Merci encore pour ce compliment qui me touche toujours autant ! J'avais lu avec attention ton billet sur "Méphisto". Si tu veux continuer avec Klaus Mann, je te conseille fortement "Le Tournant" sur sa vie, son histoire. C'est réellement un chef d'œuvre d'intelligence et de sensibilité !
@ Marie : Je comprends tes réticences après la lecture de "La montagne magique" de Thomas Mann ... Et encore tu as évité "Le docteur Faustus" ! Klaus Mann est très différent de son père, même s'il l'admirait pour sa qualité d'écriture. Il est plus proche de son oncle Heinrich sur les thèmes sociaux et politiques, engagés. Je te conseille d'essayer "Le Tournant" ou "Méphisto" où il tourne en ridicule le national-socialisme avec un cynisme désabusé.
@ Lilly : Bien sûr, Thomas Mann est incontournable, surtout avec "Mort à Venise" ou "Les Buddenbrock". Mais, Klaus Mann est, à mon avis, encore meilleur et surtout différent de son père. Il possède une qualité d'écriture exceptionnelle et la plupart de ses ouvrages sont très engagés politiquement, à part "Le Tournant". Et encore !
@ Aifelle : Alors là, tu m'apprends quelque chose que j'ignorais (la série télé sur la famille Mann !) ... Bon, je n'ai pas la télé, donc je suis excusable ! Mais essaie de trouver un moment pour découvrir un auteur méconnu d'un talent inouï ... Sincèrement, tu passerais à côté d'ouvrages de qualité littéraire indéniables !
J'ajoute un lien vers le blog de Pierre Assouline qui a parlé de cette série en 2007. J'avais l'impression que c'était plus ancien, mais c'est bien l'acteur que j'ai vu. http://passouline.blog.lemonde.fr/2007/12/02/saga-des-mann/
@ Aifellle : Merci beaucoup pour le lien vers le blog de Pierre Assouline ... On a souvent des thèmes en commun tous les deux. On devrait bien s'entendre intellectuellement ;-D Je l'ajoute pour ceux et celles que cela intéresse !
très heureux de lire cet article
j'adore les Mann et "le tournant" a été mon coup de coeur l'an dernier
j'ai mis aussi des articles sur les Mann
nous sommes quelques uns à adorer cette famille et j'en suis très heureux
(j'ai classé sur mon blog ces articles dans "littérature allemande" si tu veux les consulter
amitié
denis
@ Denis : Je suis heureuse de lire qu'un lecteur a eu un coup de cœur concernant "Le Tournant" de Klaus Mann, que je compte bien relire en 2010 ! C'est plutôt rare de s'intéresser à la littérature de langue allemande en France et c'est regrettable car il y a d'excellents auteurs (allemands et autrichiens). Si tu veux continuer sur Klaus Mann, il faut que tu lises "Méphisto", "Le volcan" et "Fuir pour vivre", écrit avec sa sœur, Erika ... Mais c'est une famille qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature allemande du 20ème Siècle !
Bonsoir Nanne, moi aussi je suis une grande admiratrice des Mann père et fils et oncle (il ne faut pas oublier Heinrich Mann et "Son professeur Unrath"). De Klaus, j'ai lu Mephisto et Le tournant: chef d'oeuvre à lire absolument. Je me suis offert récemment "Contre la barbarie" aux éditions Phebus, je me réjouis d'avance. Bonne soirée.
@ Dasola : C'est une famille qui n'a donné que de grands écrivains de la littérature allemande. Trois d'un coup, c'est énorme. Je me souviens du "Professeur Unrath" de Heinrich Mann qui est merveilleux et du film avec Marlène Dietrich au début de sa carrière ! De Klaus Mann, j'ai lu "Le tournant" qui a été réédité chez Babel Poche (une excellente édition), "Le volcan", "Méphisto" et "Fuir pour vivre", écrit avec sa sœur Erika. J'ai prévu de tous les relire pour les faire découvrir aux blogueuses et blogueurs qui passent dans le coin ! J'ai vu que les éditions Phébus sortait un recueil d'articles de Klaus Mann, "Contre la barbarie". Je vais aussi me faire ce merveilleux plaisir littéraire.
Ah mon dieu, Mephisto a été un vrai choc pour moi, un roman magnifique que j'ai d'ailleurs bien envie de relire !
Nanne, je passe en coup de vent pour l'instant comme une courte nuit m'attend avent une nouvelle journée de travail, mais je voulais te dire un grand merci pour ton colis ! Je te contacterai ce week-end car c'est un peu court comme petit mot (et je ne sais pas faire court ;o))... mais je voulais au moins te faire ce petit clin d'oeil !
Ton article est très intéressant. Je me rappelle avoir lu un Mann lorsque j'étais ado mais lequel ? Je ne me souviens pas du titre non plus... Juste que c'étais compliqué mais très beau !
Bon weekend !
@ Lou : "Mephisto" est dans la liste des 20 meilleurs livres du 20ème Siècle ! C'est dire la qualité de cette œuvre majeure dans la bibliographie d'un auteur mort trop jeune ... J'ai décidé de relire tous les livres de cette famille et de Klaus Mann en particulier (pas les uns derrière les autres, quand même !). Je me sens rassurée pour le colis que tu sembles avoir récupéré à la poste après quelques péripéties administratives.
@ Catherine : Merci, cela a été un petit travail de recherche et de vérification de certaines infos pour être sûre de ne pas faire d'impair ! Si tu as lu un livre compliqué d'un auteur du nom de Mann, ce ne pouvait être que Thomas, le père de Klaus et le frère de Heinrich. Ses ouvrages ne sont généralement pas faciles à aborder, particulièrement à l'adolescence ...
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