- Le corps japonais - Dominique Buisson (Hazan Éditions)
Alors que je participe au swap organisé par Goëlen sur le Japon, je me suis aperçue que je connaissais très peu de choses sur ce pays si éloigné de l'Europe sur de nombreux points. Aussi, lorsque errant dans les travées de la médiathèque à la recherche d'un ouvrage original sur l'art dans cette région, je suis tombée inopinément sur "Le corps japonais", je me suis dit que c'était là un sujet atypique et original pour mieux connaître cette énigmatique contrée. Neuf thèmes sont abordés autour du corps physique ou spirituel et son histoire culturelle, du sacré à la mort en passant par les codes sociaux ou amoureux, la gestuelle ou le maquillage.
Alors qu'en Occident le corps existe par lui-même depuis la Renaissance, au Japon il est irrémédiablement lié à son environnement. Véritable don du ciel, le corps ne peut être ni modifié, ni déguisé parce qu'il appartient à un grand tout. Vivant dans une double tradition religieuse - le Shintô et le Bouddhisme -, peuplée de croyances, d'esprits de la nature et de dieux ancestraux, le Japonais participe à des rites de purification et de respect des saisons pour s'attirer les bonnes grâces des puissances surnaturelles. Selon le Shintô, l'homme se doit de prendre soin du corps dont il dispose pour atteindre l'harmonie. Ainsi, dès l'enfance, le Japonais - placé sous la protection des divinités - est conditionné par des comportements issus de la religion, dont les plus importants restent les rituels du bain et la pratique des arts de cérémonie, tels celui du thé. Le rite du bain est sacré, car synonyme d'équilibre et de symbiose avec la nature.
Les relations sociales ont longtemps été soumises aux règles du confucianisme, conçu pour gérer les droits et les devoirs de chacun. Les Japonais ont longtemps été contraints par une autorité supérieure : cadet-aîné, parent-enfant, maître-élève, mari-épouse, suzerain-vassal, et même l'empereur qui devait rendre des comptes à la déesse du soleil, son ancêtre direct. C'est avec la restauration de l'ère Meiji et l'introduction de la civilisation occidentale que l'influence de l'étiquette se limitera aux cérémonies et autres rituels. Cependant, dans la vie quotidienne, certaines règles sont encore très prégnantes, comme celles de saluer, prendre un bain, se coiffer ou s'habiller, se comporter en public.
Tout au long de son existence, le Japonais contractera un ensemble d'obligations morales qu'il devra impérativement rembourser à l'empereur, à l'État, à ses parents, à ses ancêtres, à ses supérieurs, à son maître. Dans ce pays de la déférence, deux symboles survivent encore et toujours, le sourire et le salut. Dès sa naissance, l'enfant japonais apprend à saluer. C'est un élément complexe qui dépend des relations entre les personnes, de la différence de statut social et du fait d'être un homme ou une femme. De même, le sourire - si énigmatique pour les occidentaux -, est une convenance pour communiquer. Il agit comme un rempart pour contrôler ses émotions, mais aussi pour éviter la honte de certaines situations. Dans ce pays où règne l'ambiguïté, deux principes coexistent, celui que l'on doit au monde extérieur et celui que l'on doit à soi-même, qui mènent parfois à une forme d'indifférence à l'autre dès que le Japonais se trouve dans la rue, seul endroit où les obligations disparaissent.
Si, à l'Occident la sexualité a longtemps été liée au Mal, au Japon le plaisir n'est pas condamné, mais ne doit pas troubler l'ordre public ni entacher le nom d'une honte indélébile. Durant plusieurs siècles, la prostitution a été considérée comme un art à part entière. Et si la sexualité s'exerce de façon discrète et raffinée, le corps nu n'hésite pas à se donner en spectacle quand il est symbole de fertilité et de pureté originelle. Des sanctuaires phalliques lui sont consacrés et l'exposent tout comme dans les estampes, conçues pour l'initiation sexuelle. Le corps est aussi affiché au tout venant dans le train ou le métro bondé par la lecture des mangas érotiques qui offrent un catalogue illimité des déviances et cruautés sexuelles possibles.
De même, l'homosexualité n'a jamais été un motif de condamnation morale au Japon. Jusqu'à la fin du 19ème Siècle, les guerriers et les moines considéraient que l'amour pour un autre homme était une passion plus élevée et plus spirituelle que celle portée à une femme. Si l'homosexualité subit juste les interdits de la société elle reste une pratique souterraine entre l'exhibitionnisme des travestis de Golden Gaï ou du quartier de Shingubu de Tokyo et la discrétion des jeunes gens en faisant l'expérience avant le mariage. Actuellement, on trouve une féminisation de l'homme chez les jeunes gens maquillés avec ostentation et richement vêtus, surnommés les garçons paons.
Concernant le maquillage, il reste - avec le tatouage et le masque - un moyen de prouver l'immatérialité de l'âme. Au Japon, cet art est poussé à l'extrême et très sophistiqué, tissant un ensemble de codes complexes. De nos jours, une Japonaise en kimono renoue avec le passé des anciennes dames de cour au teint blanc et aux sourcils redessinés. L'acteur de Kabuki ou de Nô spécialisé dans les rôles féminins, l'interprète par son maquillage ou son masque. Le tatouage, expression de la virilité, était un ornement au 18ème Siècle pour les intellectuels et les artistes, marque de courage ou appartenance à une corporation au 19ème Siècle, avant d'être considérée comme une subversion malsaine devant être cachée au 20ème Siècle.
Toujours dans l'art et le maquillage, le théâtre au Japon est très présent dans la société. Quatre types se côtoient : le Bugaku représentant le raffinement aristocratique associant danses et musiques élégantes ; le Nô issu de la classe guerrière, transcrivant les tourments des âmes, il est joué avec des masques en bois ; le Bunraku n'utilisant que des marionnettes et le renommé Kabuki, théâtre populaire traduisant la beauté cruelle ou émouvante des états d'âme. A côté de cet art scénique classique au Japon, on trouve un théâtre underground, le Butô, anti-danse exprimant la difficulté de vivre dans un pays obsédé par la honte de la défaite et refusant le matérialisme de la société moderne.
Dans "Le corps japonais", on trouve un tableau très vaste mais non exhaustif de la société japonaise actuelle. Grâce à ce très bel ouvrage, le lecteur apprend une foule d'éléments peu ou mal connus en Occident et permettant de mieux comprendre certains modes de pensées, d'actions et des comportements qui peuvent parfois nous choquer, nous heurter, nous gêner. Présenter en neufs chapitres à l'iconographie riche, belle et précieuse, on découvre un pays aux habitudes ancestrales et qui - pour la plupart - perdurent encore de nos jours, même si elles sont atténuées. "Le corps japonais" aborde le monde et la vie du Japonais en général, de la naissance à la mort, en passant par l'art, l'architecture ou la religion. C'est un livre d'art qui se lit comme un essai sur le fonctionnement de la société actuelle aux prises avec son passé, son histoire, ses codes et ses rites.
Alors qu'en Occident le corps existe par lui-même depuis la Renaissance, au Japon il est irrémédiablement lié à son environnement. Véritable don du ciel, le corps ne peut être ni modifié, ni déguisé parce qu'il appartient à un grand tout. Vivant dans une double tradition religieuse - le Shintô et le Bouddhisme -, peuplée de croyances, d'esprits de la nature et de dieux ancestraux, le Japonais participe à des rites de purification et de respect des saisons pour s'attirer les bonnes grâces des puissances surnaturelles. Selon le Shintô, l'homme se doit de prendre soin du corps dont il dispose pour atteindre l'harmonie. Ainsi, dès l'enfance, le Japonais - placé sous la protection des divinités - est conditionné par des comportements issus de la religion, dont les plus importants restent les rituels du bain et la pratique des arts de cérémonie, tels celui du thé. Le rite du bain est sacré, car synonyme d'équilibre et de symbiose avec la nature.
Les relations sociales ont longtemps été soumises aux règles du confucianisme, conçu pour gérer les droits et les devoirs de chacun. Les Japonais ont longtemps été contraints par une autorité supérieure : cadet-aîné, parent-enfant, maître-élève, mari-épouse, suzerain-vassal, et même l'empereur qui devait rendre des comptes à la déesse du soleil, son ancêtre direct. C'est avec la restauration de l'ère Meiji et l'introduction de la civilisation occidentale que l'influence de l'étiquette se limitera aux cérémonies et autres rituels. Cependant, dans la vie quotidienne, certaines règles sont encore très prégnantes, comme celles de saluer, prendre un bain, se coiffer ou s'habiller, se comporter en public.
Tout au long de son existence, le Japonais contractera un ensemble d'obligations morales qu'il devra impérativement rembourser à l'empereur, à l'État, à ses parents, à ses ancêtres, à ses supérieurs, à son maître. Dans ce pays de la déférence, deux symboles survivent encore et toujours, le sourire et le salut. Dès sa naissance, l'enfant japonais apprend à saluer. C'est un élément complexe qui dépend des relations entre les personnes, de la différence de statut social et du fait d'être un homme ou une femme. De même, le sourire - si énigmatique pour les occidentaux -, est une convenance pour communiquer. Il agit comme un rempart pour contrôler ses émotions, mais aussi pour éviter la honte de certaines situations. Dans ce pays où règne l'ambiguïté, deux principes coexistent, celui que l'on doit au monde extérieur et celui que l'on doit à soi-même, qui mènent parfois à une forme d'indifférence à l'autre dès que le Japonais se trouve dans la rue, seul endroit où les obligations disparaissent.
Si, à l'Occident la sexualité a longtemps été liée au Mal, au Japon le plaisir n'est pas condamné, mais ne doit pas troubler l'ordre public ni entacher le nom d'une honte indélébile. Durant plusieurs siècles, la prostitution a été considérée comme un art à part entière. Et si la sexualité s'exerce de façon discrète et raffinée, le corps nu n'hésite pas à se donner en spectacle quand il est symbole de fertilité et de pureté originelle. Des sanctuaires phalliques lui sont consacrés et l'exposent tout comme dans les estampes, conçues pour l'initiation sexuelle. Le corps est aussi affiché au tout venant dans le train ou le métro bondé par la lecture des mangas érotiques qui offrent un catalogue illimité des déviances et cruautés sexuelles possibles.
De même, l'homosexualité n'a jamais été un motif de condamnation morale au Japon. Jusqu'à la fin du 19ème Siècle, les guerriers et les moines considéraient que l'amour pour un autre homme était une passion plus élevée et plus spirituelle que celle portée à une femme. Si l'homosexualité subit juste les interdits de la société elle reste une pratique souterraine entre l'exhibitionnisme des travestis de Golden Gaï ou du quartier de Shingubu de Tokyo et la discrétion des jeunes gens en faisant l'expérience avant le mariage. Actuellement, on trouve une féminisation de l'homme chez les jeunes gens maquillés avec ostentation et richement vêtus, surnommés les garçons paons.
Concernant le maquillage, il reste - avec le tatouage et le masque - un moyen de prouver l'immatérialité de l'âme. Au Japon, cet art est poussé à l'extrême et très sophistiqué, tissant un ensemble de codes complexes. De nos jours, une Japonaise en kimono renoue avec le passé des anciennes dames de cour au teint blanc et aux sourcils redessinés. L'acteur de Kabuki ou de Nô spécialisé dans les rôles féminins, l'interprète par son maquillage ou son masque. Le tatouage, expression de la virilité, était un ornement au 18ème Siècle pour les intellectuels et les artistes, marque de courage ou appartenance à une corporation au 19ème Siècle, avant d'être considérée comme une subversion malsaine devant être cachée au 20ème Siècle.
Toujours dans l'art et le maquillage, le théâtre au Japon est très présent dans la société. Quatre types se côtoient : le Bugaku représentant le raffinement aristocratique associant danses et musiques élégantes ; le Nô issu de la classe guerrière, transcrivant les tourments des âmes, il est joué avec des masques en bois ; le Bunraku n'utilisant que des marionnettes et le renommé Kabuki, théâtre populaire traduisant la beauté cruelle ou émouvante des états d'âme. A côté de cet art scénique classique au Japon, on trouve un théâtre underground, le Butô, anti-danse exprimant la difficulté de vivre dans un pays obsédé par la honte de la défaite et refusant le matérialisme de la société moderne.
Dans "Le corps japonais", on trouve un tableau très vaste mais non exhaustif de la société japonaise actuelle. Grâce à ce très bel ouvrage, le lecteur apprend une foule d'éléments peu ou mal connus en Occident et permettant de mieux comprendre certains modes de pensées, d'actions et des comportements qui peuvent parfois nous choquer, nous heurter, nous gêner. Présenter en neufs chapitres à l'iconographie riche, belle et précieuse, on découvre un pays aux habitudes ancestrales et qui - pour la plupart - perdurent encore de nos jours, même si elles sont atténuées. "Le corps japonais" aborde le monde et la vie du Japonais en général, de la naissance à la mort, en passant par l'art, l'architecture ou la religion. C'est un livre d'art qui se lit comme un essai sur le fonctionnement de la société actuelle aux prises avec son passé, son histoire, ses codes et ses rites.
11 commentaires:
Une découverte bien attirante ce livre merci
Coucou Nanne, les photos sont splendides en tout cas !
Bonne soirée et gros bisous du samedi soir,
Merci pour cet article très intéressant ! Pendant longtemps, le japon ne m'a pas du tout attirée. Et puis, depuis quelques temps, c'est une culture à laquelle je commence vraiment à m'intéresser... J'ai même hésité à m'inscrire au swap. Mais j'avais peur d'être trop novice dans cette culture pour assurer...
J'ai commencé à connaître la civilisation japonaise à travers les mangas ... puis je me suis intéressée aux films d'animation. Dans les films de Miyazaki, on retrouve cette relation entre l'homme et la nature.
Depuis quelques années, j'ai découvert la littérature japonaise ...
Merci pour cet article intéressant !
Tes comptes-rendus de livres sont toujours magistraux, Nanne! D'ailleurs, je me surprends souvent à souhaiter que le livre soit écrit par toi ;)
@ Dominique : C'est une découverte qui devrait te ravir aussi si tu le trouves au détour d'une bibliothèque !
@ Muad' : Toujours sensible à la qualité des images ... Comme moi ! Merci pour tout !
@ Alwenn : Je suis un peu comme toi, assez réticente à la culture japonaise sans savoir pourquoi ! Et en lisant Yoko Ogawa, j'ai eu envie de continuer. J'avoue que je suis très curieuse d'en découvrir plus sur le Japon maintenant ...
@ Leiloona : Personnellement, j'ai fait le contraire ! J'ai commencé avec le cinéma japonais, il y a longtemps. Maintenant, je continue avec la littérature et les mangas ! Et je suis fascinée ...
@ Sybilline : Merci beaucoup pour ces compliments ... Je ne me sens pas du tout prête pour écrire un livre ! Je me contente modestement de les lire et de les partager !
Même si tu penses ne pas connaître grand-chose sur le Japon, tu t'es merveilleusement tiré de ce swap : merci pour elle, ta générosité nous touche beaucoup.
@ Ys : J'ai eu très peur pour les mangas, en fait ! Je craignais qu'elle ne les ait déjà lus ... Mais, apparemment, non ! Je suis heureuse que ce petit colis lui ait plu ! Dès que je commence un swap, je ne sais jamais m'arrêter. J'achèterais une tonne de choses ! C'est pathologique ...
Un très bel article que tu n ous offres là! J'aime beaucoup l'esthétique nippone.
@ Choupynette : Merci pour ce compliment ! C'est une culture que je connais peu, mais que je découvre avec plaisir et - parfois - stupeur !
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