21 août 2009

LE PARIA

  • Signor Giovanni - Dominique Fernandez - Livre de poche n° 15566


"Un érudit qui reçoit sept coups de couteau dans sa chambre d'hôtel, un archéologue qu'on assassine dans des circonstances mystérieuses, un helléniste saigné comme un cochon, n'y a-t-il pas là matière à rêver ?". Cet érudit, cet helléniste et archéologue n'est rien moins que Johann Joachim Winckelmann, fils d'un cordonnier prussien et disciple du néoclassicisme. Jeune homme pauvre, cultivé, instruit et lettré prêt à tout pour réussir dans la vie. Il feint de se convertir au catholicisme pour s'attirer les grâces du cardinal Archinto, proche de l'électeur de Saxe Frédéric-Auguste II.

Arrivé à Trieste le 8 juin 1768, son comportement est jugé peu conforme à celle d'un homme cumulant des titres aussi prestigieux que ceux de "Secrétaire de la bibliothèque Vaticane" ou de "Préfet des Antiquités de Rome". Winckelmann rencontre dans cette ville portuaire Francesco Arcangeli à l'auberge de l'Osteria Grande, cuisinier chez le comte Cattaldi. "Le cuisinier de Pistoria, magnifié par son patronyme flamboyant, se présenta aux yeux du nostalgique de l'Hellade comme la synthèse du paganisme et du christianisme, comme le moyen de concilier le culte des dieux anciens et la dévotion au Dieu moderne". Seulement, Winckelmann vient de se lier d'amitié avec un voleur, un banni de l'Empire, un rescapé de la petite vérole qui s'est marié à Stock Haus, la prison de Vienne. Drôle d'amitié pour un homme jugé aussi brillant et cultivé que l'était Winckelmann !!! Comme s'il cherchait à oublier le personnage qu'il s'était créé par ambition. Comme s'il recherchait l'anonymat, à n'être que M. Personne. Pourquoi ?

Winckelmann aurait été assassiné à Trieste pour des motifs cupides, bassement matérialistes. "[...] je lui fis voir de grandes médailles d'argent, et deux d'or, parmi lesquelles une que me donna en cadeau l'Impératrice à Schönbrunn, il y avait le portrait du prince du Liechtenstein". Dans les actes du procès d'Arcangeli, c'est Winckelmann lui-même qui donne la version du meurtre par cupidité, alors qu'il est moribond, incapable d'articuler un mot pour donner son identité et sa profession. Autre bizarrerie. Pourquoi ? Pour impressionner son nouvel ami, il s'invente un rôle d'ambassadeur occulte auprès de l'Impératrice Marie-Thérèse, sorte de sauveur du trône de l'Empire contre un soi-disant complot politique. "Vraisemblablement, il était allé montrer à Marie-Thérèse quelques ouvrages ou manuscrit grec. Mais, pour impressionner son nouvel ami, il invente une fable politique, des secrets de cour [...]". Autre étrangeté dans la vie apparemment bien réglée, lisse, sans aspérités, de Winckelmann. A cinquante ans, cet homme de grande culture est toujours célibataire, alors qu'au 18ème Siècle l'âge limite pour se marier et éviter toute suspicion était de vingt-cinq ans, trente ans au plus tard. A cette époque, tout le monde - paysans, bourgeois, aristocrate - obéissait à cette loi non écrite. Et si, en plus de son célibat, Winckelmann était aussi hérétique ? Ou Juif ? Ou encore un simple imposteur ? Pire, un paria de la société ? Drôle de petit livre que ce "Signor Giovanni" de Dominique Fernandez qui nous invite - une fois n'est pas coutume - à une promenade culturelle à travers le temps et l'histoire. En effet, Dominique Fernandez revient sur le meurtre de Winckelmann, apôtre du néoclassicisme, poignardé à Trieste alors qu'il se rendait à Vienne. Dans son livre, l'auteur refait l'enquête de cet homicide pour le moins étrange, dont le mobile était - à l'origine - la cupidité du coupable. Tout au long de ces pages, tel un détective digne de Sherlock Holmes ou d'un Rouletabille, on défait la pelote du procès et on découvre des détails pour le moins surprenants. 90 pages qui nous tiennent en haleine et nous donnent envie de connaître - peut-être - le véritable mobile du crime, très éloigné du verdict. On a envie de savoir, d'apprendre. "Signor Giovanni" se lit d'une traite jusqu'au bout. Dès qu'on le commence, on ne peut plus le lâcher. Petit livre haletant, il donne une certaine vision de ce 18ème Siècle, tout à la fois flamboyant et austère.

4 commentaires:

Dominique a dit…

Nanne je suis ravie de lire ce billet, je n'ai pas lu "signor giovanni" mais j'apprécie beaucoup D Fernandez et j'avais particulièrement aimé tribunal d'honneur sur la mort de Tchaikovski, je garde la référence de ce livre qui m'attire beaucoup

kathel a dit…

Intrigant... mais j'ai accumulé les lectures "historiques" ces derniers aussi attendrai-je un peu !

Muad' Dib a dit…

Coucou Nanne, voilà un destin hors norme qui promet de nombreux rebondissements.
Gros bisous et bon week-end,

Nanne a dit…

@ Dominique : Je ne connaissais cet auteur que de renommée et pour son "célèbre" père ! Mais j'ai décidé de continuer à découvrir cet auteur érudit ... J'ai déjà repéré certains ouvrages autour de l'art italien, et la biographie de son père, "Ramon" qui est excellent à ce que l'on a dit ! Je garde cette référence pour lire ce roman ...

@ Kathel : J'ai aussi eu un été "studieux" avec de belles lectures historiques, mais cela ne m'empêche pas de récidiver !

@ Muad'Dib : Si tu aimes les romans sur l'art en Italie et la religion, alors ce livre est fait pour toi ! Excellent week end à toi ...