10 mai 2010

LE MONDE DU SECRET

  • Le Convive du dernier soir - Charles McCarry - Livre de Poche n°31197

"Le premier maillon de la chaîne de circonstances qui aboutit au meurtre de Molly Benson, une jeune femme innocente dont le seul crime était d'aimer Paul Christopher, fut souder une après-midi d'août 1923, sur l'île de Rügen, bien avant la naissance des deux amoureux. Ce jour-là, Hubbard Christopher, un jeune Américain qui serait un jour le père de Paul, grimpait le long du chemin qui menait à Berwick, la demeure d'une famille prussienne, le Buecheler. Hubbard Christopher avait alors vingt et un ans, et il rendait une visite de courtoisie au colonel Paulus von Buecheler. Une quarantaine d'année auparavant, Buecheler et le père d'Hubbard avaient été à l'école ensemble à Bonn, et les deux hommes, soldats tous les deux, étaient restés amis toute leur vie". Alors que Hubbard Christopher, jeune Américain originaire des Berkshires dans le Massachussets, rend visite à son oncle le baron Paulus Von Buecheler, il ne sait pas encore qu'il va rencontrer sa future épouse, Anne-Sophie von Buecheler, considérée comme une femme d'une grande beauté et dotée d'un singulier caractère. Le jeune Hubbard avait choisi Berlin et son ambiance avant-gardiste pour débuter dans la profession qu'il s'était choisi. Il voulait être poète et écrivain. Son premier livre porterait sur sa famille maternelle. L'Allemagne était le pays idéal, assez loin des États-Unis, pour se fâcher avec la moitié de sa parenté.

C'est au domaine de Berwick - berceau des von Buecheler sur la Baltique - que naîtra Paul Christopher, d'un père américain et d'une mère allemande. Pas facile à vivre dans un avenir proche. "Paul Christopher était un enfant calme. Né dans une famille de bavards, il écoutait. Même très jeune, il n'interrompait jamais une conversation. Des années après, il lui arrivait de poser une question au sujet d'une histoire qu'il avait entendue à quatre ans ; on aurait dit qu'il n'oubliait jamais rien". C'est sur le domaine de Berwick que Paul Christopher passera une enfance heureuse et insouciante. Cette insouciance prendra brutalement fin en 1936, lorsque sa mère assènera un revers de la main à Stutzer le Dandy, chef de la gestapo de Rügen pour avoir osé s'en prendre à un pauvre bougre connu sur l'île. Dès lors, le Dandy de la gestapo harcèlera la famille Christopher à Berwick, persuadé que celle-ci fait de la contre-bande. En fait de contre-bande, les Christopher faisaient passer les opposants politiques, sociaux et les Juifs au Danemark, juste en face. Leur yole, "Le Mohican", était une œuvre humanitaire à elle seule. "- J'ai causé quelques problèmes aux bolcheviques en Espagne, dit Rothschild, maintenant qu'ils sont alliés aux Allemands, je risque de me trouver dans une position gênante. - Gênante, comment cela, Otto ? - Gênante comme l'était la position de Zaentz, de Blau, de Schwartz, d'Eisner, de Gerstein et de tous les autres ... passagers. Dois-je poursuivre ? La liste est longue. Tout le monde sait ce que vous faites avec votre bateau, Lori et toi. - Vraiment, que savent-ils, Otto ? - Que les Christopher sont des anges de justice. Même la Gestapo est au courant. En d'autres circonstances, je te conseillerais de mettre fin à ton œuvre humanitaire".

Élevé dans l'absence de la peur des événements et le contrôle de ses émotions, le jeune Paul Christopher ne conserverait de sa mère que le souvenir de sa séparation à la frontière française et les coups portés par les nervis de la Gestapo pour l'expulser d'Allemagne Manu militari. De retour aux États-Unis avec son fils, Hubbard Christopher sera embrigadé par Waddy Jessup dans l'Outfit, unité secrète et nouvellement créée. Envoyé en Allemagne pendant la guerre, Hubbard Christopher n'aura - en réalité - qu'un seul et unique objectif, retrouve une trace de Lori, mystérieusement disparue sans jamais laisser une seule trace. Savoir ce
qui lui était arrivée après leur départ précipité, tel était son credo. Pour lui. Pour Paul, leur fils. "Le monde de l'espionnage était un monde de fous dans lequel ceux qui ne savaient ni écrire, ni peindre, si sculpter créaient des œuvres convulsées avec de la chair humaine et prenaient cela pour de l'art. On se serait cru dans un asile en train de regarder des fous barbouiller une armée de silhouettes sur une énorme toile avec des giclées de sang en guise de peinture". Mystérieusement renversé à Berlin alors qu'il était proche de découvrir ce qui était arrivé à Lori, Hubbard Christopher sera enterré dans la plus stricte intimité. Rien ne devait percer de son passé, de son histoire, de sa vie. Jusque dans la mort. C'est ainsi que Paul Christopher entrera au sein de l'Outfit, grande famille aux multiples et profondes ramifications.

Bizarre, bizarre ! Vous avez dit bizarre ? S'il fallait résumer d'une seule phrase "Le Convive du dernier soir" de Charles McCarry, c'est celle-ci qui me viendrait immédiatement à l'esprit. Bizarre. Étrange. Singulier. Insolite. Surprenant. Déconcertant. A commencer par le ton même du roman. Un style détaché, froid, distancié, à l'humour noir, grinçant, incisif, décalé. Comme si Charles McCarry avait lui-même fait partie de l'Outfit. Ou de l'Intelligence Service. Ancien membre de la CIA en Europe et en Asie, l'auteur nous relate l'histoire des services secrets américains dans "Le Convive du dernier soir". A travers son personnage principal, Paul Christopher, le lecteur assiste à la création et au développement d'une organisation privée au service de l'État et faite pour surveiller ses opposants politiques et faire de l'agit'prop partout où cela était nécessaire. L'histoire débute avec l'arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne. Elle se poursuit avec la 2e Guerre mondiale et la présence des Alliés sur tous les théâtres d'opérations, de l'Europe à la Chine en passant par la Birmanie occupée par les Japonais. A la fin du conflit, les intérêts changent de camp. Tout le monde se sert des restes pour continuer le
combat commencé. Contre les Communistes, cette fois. C'est l'époque de la Guerre froide, du Mac Cartysme et de la chasse aux sorcières dans la société américaine, persuadée d'être gangrénée de l'intérieur. De Berlin à Vienne, en passant par Paris, Saïgon, Hanoï ou les prisons chinoises, Charles McCarry fait un état des lieux de ces Hommes de l'ombre qui se servent de leurs ennemis pour les vaincre sur leur terrain. Dans "Le Convive du dernier soir", c'est à lutte acharnée et sans merci que l'on assiste de la part des Américains, des Britanniques, des Français, des Russes et des Chinois pour obtenir une information capitale, pour démasquer un traître, pour doubler les autres, tout simplement. Dans ce roman d'espionnage, les personnages manipulent tout le monde, sont tous sombres ou cachent quelque chose. L'histoire de ce roman se construit à la manière d'un puzzle, en rassemblant les morceaux épars d'existence de chaque protagoniste et aboutir - au bout - à la vérité vraie. Si vérité il y a ! Des éléments semblent nous échapper, mais qu'importe. Il faut aller au bout des cinq cents soixante dix pages qui tiennent en haleine pour découvrir - et comprendre - l'enchevêtrement, le maillage des événements racontés. Au final, Charles McCarry nous promène dans les méandres d'une organisation secrète, aux intentions pas toujours très nettes, mais terriblement fascinante.

"Le Convive du dernier soir" a été lu dans le cadre du partenariat avec BOB et les éditions du livre de Poche. Je les remercie pour cette lecture originale et passionnante.

D'autres blogs en parlent : Clara, Mrs Pepys ... D'autres, peut-être ?! Merci de vous faire connaître par un mot en commentaire, que je vous rajoute à la liste.

286 - 1 = 285 livres en attente ...

9 commentaires:

Cecile a dit…

J'avais lu l'avis de Clara : il ne m'avait pas paru pour moi. Mais avec ton avis, j'hésite. Si je comprends bien donc c'est un roman d'espionnage mais je voulais juste savoir on apprend des choses historiquement ? ou ça parle juste d'aventure un peu comme les James Bond ?

Constance a dit…

Ton billete st très tentant. Je le note.

Nanne a dit…

@ Cécile : J'ai aussi lu l'avis de Clara qui n'a pas du tout accroché à cette histoire et je comprends très bien. Le roman est vraiment très surprenant et pas toujours évident, parce qu'il n'y a pas une histoire, mais plusieurs qui se mêlent et s'entremêlent. Le roman est assez proche de "La Compagnie" de Robert Litell qui traite de la CIA. On ne peut pas dire que ce soit un roman historique sur l'espionnage. Par contre, c'est le roman qui introduit Paul Christopher, le personnage récurent de Charles McCarry.

@ Constance : Ce roman est vraiment singulier, mais dès que l'on commence à entrer dans l'histoire, on ne cherche plus qu'une chose, à aller au bout de celle-ci pour comprendre les tenants et les aboutissants ! Il n'y a pas vraiment d'action, mais plusieurs affaires qui éclairent sur les personnages en place ... La construction est plutôt originale !

dasola a dit…

Bonjour Nanne, je ne connais cet auteur mais ton billet donne envie. Mais il faut que je diminue ma PAL, je verrai plus tard mais je retiens le nom. Bonne journée.

Choupynette a dit…

hmmm pourquoi pas? de l'espionnage ça me plait bien, des histoires entremêlées aussi! :))
Bonnes vacances!

Belledenuit a dit…

Je l'avais repéré lors de la proposition de partenariat mais j'ai hésité à le tenter. Ton avis est très convainquant. Je le rajoute à ma LAL. Pour l'instant, j'ai trop de lectures en attente.

Nanne a dit…

@ Dasola : Je ne le connaissais pas, mais j'avais repéré ce roman lors de sa sortie en poche. BOB m'a permis de le découvrir ! L'histoire est plutôt enchevêtrée, il faut tenir bon, mais la lecture vaut que l'on s'y arrête ... J'ai commencé "Toxic Blues" et je me régale encore !

@ Choupynette : Si tu aimes les romans d'espionnage et les histoires entremêlées, ce roman est fait pour toi ! Mais attention, il y a des rebondissements, mais sans trop d'action ... C'est plus l'introduction de son personnage principal, Paul Christopher, qu'un vrai roman d'espionnage.

@ Belle de Nuit : C'est un roman très singulier par sa construction et par le ton adopté. Mais il mérite d'être lu et de découvrir un auteur peu présent sur les blogs !

Manu a dit…

L'histoire familiale de Paul me plaisait. Mais le côté espionnage beaucoup moins. Au final, je pense que ce n'est pas pour moi.

Nanne a dit…

@ Manu : Ce roman introduit Paul Christopher dans l'univers de l'espionnage. Et l'aspect espionnage est présent, mais sans doute moins que dans ses autres romans ... Et puis, il y a tellement de livres à découvrir, que tu peux passer sur celui-ci !