- Du sang sur Vienne - Franck Tallis (10/18 n° 3948)
Alors que Vienne semble engourdie par un froid sibérien et que ses habitants se calfeutrent dans la chaleur ouatée des cafés de la capitale austro-hongroise, l'inspecteur Oskar Reinhardt se rend au Tiergaten à l'appel du directeur du zoo. On vient de découvrir un meurtre hors du commun. "La victime est de sexe féminin, mesure neuf mètres et pèse environ deux cent cinquante kilos. On l'appelle Hildegarde tout court, et il paraît que c'est une favorite de l'empereur". Hildegarde est un anaconda, sectionné en trois morceaux. L'affaire prêterait à sourire si, à quelque temps de là, un autre meurtre - sordide celui-là -, n'avait pas été commis.
Le lieu du crime, une maison de passe dans le Spittelberg, ressemble à une vraie boucherie rituelle. Quatre femmes d'origine galiciennes ont été atrocement mutilées et le meurtrier a laissé sur les murs d'étranges croix tordues, inconnues de l'inspecteur Reinhardt. A la vue de ce carnage, celui-ci n'a qu'une crainte, que ces crimes ne soient que le début d'une longue série. Et si Vienne était - à son tour -, frappée par un Serial Killer comme Londres quelques années auparavant avec Jack l'Eventreur. Pour éviter que la peur ne s'empare de la population il faut faire vite et trouver une piste sérieuse. Marta Borek, la tenancière, possédait des reconnaissances de dettes d'officiers de l'armée impériale. Le criminel serait-il l'un d'eux ? De même, un certain Krull passait ses journées à faire le guet devant la maison de Marta Borek. Mais la culpabilité de celui-ci paraît trop évidente pour Max Liebermann, psychiatre et ami de Reinhardt. Il cumule toutes les tares sociales et autres défauts physiques et psychiques pour en faire le meurtrier parfait. "Un homme solitaire, misérable, déçu, rejeté par ses pairs, et par les femmes, à cause de son physique lamentable. Aigri, il fuit la société, embrasse la foi et devient l'acolyte infortuné d'un prêtre fanatique. Il s'attaque donc à des prostituées avec une violence exacerbée par une religion qui l'incite à éradiquer la corruption de la planète".
Bien vite, les craintes de Reinhardt se révèleront une sinistre réalité. Un deuxième meurtre est commis contre un jeune tchèque, cette fois. Fait étrange, les enquêteurs retrouveront dans sa bouche un cadenas. Pour Max Liebermann, adepte des conférences de Freud et rompu à l'analyse psychanalytique, la signification de l'objet est claire. La victime a été réduite au silence par son meurtrier.
La série des funestes rituels ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Après les prostituées, le marchand de volailles, un serviteur nubien et un frère Capucin tomberont sous les coups du tueur fou. Quel peut être le lien commun entre toutes ces personnes ? Œuvre d'un nationaliste pangermanique, raciste et antisémite qui cherche à terroriser les populations étrangères vivant dans les faubourgs de Vienne ? Dans cette société viennoise à l'aube du 20ème Siècle, les haines raciales sont déjà bien présentes et exacerbées. Tout ce qui est novateur dans l'art est d'ores et déjà considéré comme décadent par les gardiens d'une certaine morale. Gustav Klimt ou Mahler sont perçus comme des artistes dégénérés et Juifs, donc résolument coupables de vouloir pourrir l'empire d'Autriche-Hongrie et de le couper de sa culture d'origine. Oeuvre d'un fou qui tue au gré de ses humeurs et qui fonctionne à l'instinct ? C'est en se rendant à l'opéra pour voir et entendre La flûte enchantée de Mozart, que Max Liebermann découvrira le lien - ténu et peu évident - entre la série des crimes perpétrée par le tueur de Vienne.
"Du sang sur Vienne" de Franck Tallis est un roman policier comme je les aime, haletant, angoissant, psychologique, mêlant un fond de grande histoire sur laquelle se greffe une histoire romancée. En toile de fond de l'enquête, on assiste aux querelles du 20ème Siècle naissant sur la place des femmes dans le milieu médical et sur leurs limites intellectuelles qui les rendraient plus sensibles que les hommes, ainsi que sur les thèses de Lombroso sur le caractère inné des criminels. On croise, au hasard des pages, un personnage singulier, artiste peintre sans charisme ni originalité, frustré et aigri d'avoir été écarté de l'Académie de peinture de Vienne. De même, l'intrigue scientifique est basée sur des calculs savants, des connaissances antiques et des analyses psychanalytiques sur la signification des meurtres.
Mais surtout, ce qui rend "Du sang sur Vienne" palpitant est ce mélange de légèreté et de rigueur, dû à la musique classique - bruissement de morceaux de Mozart, de Brahms, de Strauss, de lieder, de chants d'opéra -, d'une part et à la déduction rationnelle des actes du criminel, d'autre part. Reinhardt et Liebermann vont et viennent entre monde des arts - opéra, musées, cafés littéraires -, et monde glauque - maisons closes, égouts, sociétés secrètes -, avec une aisance et une élégance déconcertantes. En résumé, c'est excellent et j'ai hâte de lire la suite.
14 commentaires:
Ah celui-là il est sur ma LAL depuis un moment. Et ton billet me tente! De plus, j'aime bien l'ambiance viennoise.
Moi j'ai lu les trois volumes et j'attends le prochain avec grande impatience. A signaler dans la même collection une série sur Venise au 19e qui est super (écrite par Nicolas Remin un Allemand). Deux tomes sont parus et j'adore. C'est dans le même esprit sauf que c'est plus la décrépitude des palais vénitiens qui est signalée.
j'aime beaucoup ce nouveau blog.. c''est très doux. au fait, et le fado, ca te plait?
@ Mireille : Cette série de policier est extraordinaire. Je te la conseille vivement car on retrouve toute l'atmosphère de Vienne au début du siècle. C'est très riche et captivant.
@ Véro : merci pour cette info sur Venise. Je les ai repéré dernièrement et je vais lire le 1er tome. En plus, avec Venise en Guest Star !!
@ Choupynette : Merci pour ce compliment ... Pour le fado, c'est une musique magnifique portée par une voix envoûtante. Je suis sous le charme, encore merci ;-D
J'en connais une qui va se régaler... car les deux suivants sont excellents !
Je n'ai pas encore essayé de livre de cette série, mais ton billet me donne envie !
Je passe régulièrement chez Mollat pour zieuter les nouveautés. Il y a aussi une série sur le cinématographe qui n'a pas l'air mal. Sur le site 10/18 on peut en télécharger un chapitre. Pensez-y pour découvrir de nouveaux policiers !
@ Michel : Merci de me confirmer que cette série est excellente ;-)
@ Kathel : Il faut lire cette série car elle est de grande qualité. Le mélange histoire et policier est explosif !
@ Véro : Je vois que l'on a les mêmes endroits pour repérer les bons livres ;-) J'ai vu cette série sur le cinéma, mais je vais d'abord commencer celle sur Venise ...
J'ai adoré, adoré, adoré les deux tomes que j'ai lus dans cette série! Pour les mêmes raisons que toi! Ahhhh Vienne!
Je sais que tu as adoré cette série, Karine ;-)) J'ai trouvé tes billets très enthousiastes et magnifiques ... Rien que pour le bonheur de revivre Vienne au début du 20ème Siècle !!!
Ravie que cela te plaise!! ;o) pour ma part, après plus d'un an, je ne me lasse pas d'écouter Mariza très régulièrement!!
@ Choupynette : Il faut que je recherche s'il y a d'autres albums de cette chanteuse à la voix magique et envoûtante ;-)C'est vrai qu'on ne s'en lasse pas !!
J'ai lu les deux premiers et je dois dire que, même si l'ambiance est bien rendue, j'ai quand même trouvé que c'était très très bavard :-(
@ Cathe : Il faut reconnaître qu'il y a quelques longueurs, mais l'atmosphère est quand même très bien ressentie. Et c'est très bien écrit, pour un Policier.
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