- La formule préférée du professeur - Yoko Ogawa - (Babel n° 860)
Une jeune aide-ménagère se voit envoyée chez un ancien mathématicien réputé difficile, selon les appréciations de ses collègues de l'association Akebono. Le travail n'a pourtant rien de compliqué en apparence, hormis la mémoire du professeur limitée à 80 minutes. Celui-ci est incapable de se souvenir du quotidien au-delà de cette période et sa mémoire s'est brutalement stoppée au jour de son accident de la circulation, en 1975. Seuls, les théorèmes de mathématiques et la magie des nombres restent présents à son esprit. Trace ultime de son passé.
Au début de sa prise de fonction, la jeune femme est un peu décontenancée par le comportement du vieux professeur. Chaque jour elle doit se présenter à lui pour réamorcer une mémoire défaillante à jamais et répondre à des questions incongrues, tournant invariablement autour des chiffres. Le professeur est néanmoins un personnage attachant, original et attendrissant. Pour se remémorer les éléments essentiels de son quotidien, il accroche de petits pense-bêtes à sa veste, comme autant de petits papillons blancs. De même, ce vieux mathématicien a le don de parler des nombres avec douceur et poésie, comme le ferait un amoureux des étoiles. "Je suivais des yeux les nombres écrits par le professeur et moi, qui s'enchaînaient avec fluidité, comme les étoiles clignotantes forment des constellations dans le ciel nocturne".
A la demande du vieux professeur, son aide-ménagère lui présente son fils âgé de 10 ans. L'arrivée de cet enfant dans l'univers clos et silencieux du professeur est un vrai cadeau du ciel, un instant de lumière. Dès la première rencontre, le vieil homme s'attachera à cet enfant et le surnommera Root. "Tu es Root. Racine, un signe vraiment généreux, qui accueille tous les nombres sans rechigner". Grâce à la présence de Root et de sa mère, de leur affection quotidienne, le vieil amnésique sortira un peu de son isolement. Le culte et la passion profonde que le vieux mathématicien voue aux nombres premiers seront bientôt partagés par Root lui-même et par sa mère. "Je connaissais leur existence bien sûr, mais l'idée ne m'avait jamais effleurée qu'ils puissent constituer un objet d'amour. Cependant, même si l'objet était extravagant, la manière d'aimer du professeur était tout à fait orthodoxe. Il éprouvait pour eux de la tendresse, de la dévotion et du respect, il les caressait ou se prosternait devant eux de temps en temps, et ne s'en séparait jamais".
Mais les nombres premiers ne sont pas la seule passion du vieux professeur. Il y a aussi le base ball et un joueur, particulièrement : Yakato Enatsu. Et même dans ce sport, il trouvera le moyen d'y mettre des calculs mathématiques. On apprendra - au fil de la lecture - quelle est la formule préférée du professeur. C'est le théorème d'Euler. "Euler avait inventé cette formule à partir d'un concept on ne peut plus artificiel. Il avait découvert des relations naturelles entre les chiffres qui n'apparaissaient autrement que sans aucun lien entre eux".
Ce que l'on peut d'ores et déjà dire après la lecture de "La formule préférée du professeur", c'est qu'il a l'art de faire aimer les mathématiques. Ce qui est un point positif. On fait connaissance - grâce à une écriture claire et limpide - avec les nombres premiers, les nombres premiers jumeaux et les grands nombres premiers, sans être rebuté par leur théorème. On découvre la scansion des problèmes mathématiques. Si l'on arrive à entendre le rythme d'un problème, on trouvera la solution, un peu comme un musicien décrypte une partition avant de la jouer sur son instrument. Mais cette description seule réduirait le champ de son intérêt pour le lecteur. C'est aussi - et surtout - un livre subtil sur les relations intergénérationnelles, sur tout ce qu'une personne âgée peut apporter à un enfant, et inversement. C'est une histoire sur la transmission des savoirs d'une génération à une autre, à travers les aléas d'une mémoire à jamais défaillante. Les mathématiques seront le pont reliant les personnages et leur permettant de mieux se connaître, de s'approcher et de s'apprécier. Le style d'écriture est léger, aérien, poétique. Il associe un chiffre à un sentiment, à une idée, le rendant presque vivant, réel et humain. On y retrouve aussi toutes les valeurs qui constituent le socle de la société japonaise, la persévérance, le respect des anciens, la rigueur, l'abnégation, la morale. J'ai tellement aimé ce livre et son écriture - offert par Katell lors du swap "Éternel féminin" - que j'ai décidé de faire plus ample connaissance avec Yoko Ogawa en achetant "Le musée du silence". J'espère que la magie se poursuivra.
Les avis de Papillon, de Chaperlipopette et de Chiffonnette ... et bien d'autres enthousiastes.
8 commentaires:
J'ai ce livre chez moi... et ton billet me donne franchement hâte de le lire!!!
J'ai adoré "Le musée du silence" et je compte bien poursuivre aussi la lecture des romans de Yoko Ogawa. J'attends qu'on me prête "Parfum de glace". J'espère, comme toi, que la magie opèrera à nouveau.
@ Karine :) : Si tu le possèdes, alors il faut que tu le lises absolument. Il est merveilleux ;-D
@ Manu : C'est sur ton blog que j'ai notamment lu l'article sur "Le musée du silence". Si tu veux lire "La formule préférée du professeur", je peux te l'envoyer ;-D
J'ai lu aussi le musée du silence et maintenant celui ci me semble parfait pour continuer la découverte de l'auteur.
Keisha : Je me le suis acheté après ce premier roman de Yoko Ogawa car j'ai lu beaucoup de bonnes critiques sur ce livre ;-D
manu avait raison, voici un très beau commentaire qui me donne aussi envie d'ajouter le livre à ma LAL, bien que je ne sois pas fervente de littérature japonaise. Mais c'est surtout parce que je ne la connais pas bien.
@ Sheherazade : J'étais un peu comme toi avant de découvrir Yoko Ogawa, très sceptique. Mais d'avoir lu ce petit bijou de la littérature japonaise m'a fait changer d'avis ...
This is a great bblog
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