14 novembre 2008

LA BOITE AUX LETTRES

  • Les Amants d'Avignon - Elsa Triolet (Folio 2€ n° 4521)


Juliette est une charmante jeune femme, sage comme une image, belle comme un cœur et très sympathique. Tout le monde s'accorde à ne lui trouver que des qualités. Sa vie est sans secrets, simple et claire comme de l'eau de source. Juliette est dactylo. Elle vit à Paris avec sa tante, vieille fille, et un enfant adopté, José. "Juliette ramena avec elle un petit Espagnol d'un an, qu'on avait trouvé, emmailloté, dans un train de l'Espagne en feu et apporté à Paris. Sans beaucoup de se creuser la cervelle, elles l'appelèrent José". Son existence est sans remous, sans aspérités. Puis, l'exode est arrivé.

Juliette se promène maintenant dans la campagne lyonnaise. Elle visite les nombreuses fermes isolées, là-haut dans la montagne. Elle en a profité pour changer d'identité, Juliette. C'est plus sûr, parfois, d'avoir un autre nom. On ne sait jamais par les temps qui courent. Les paysans du coin la connaissent sous le patronyme de Rose Toussaint. Rose/Juliette a quelque fois du mal à convaincre les paysans de la région qui vivent à l'écart du monde. Heureusement pour elle, il y a la famille Bourgeois. Ils se comprennent. Ils parlent le même langage et ils sont très hospitaliers. C'est loin d'être toujours le cas. Quand elle songe au temps d'avant,
Juliette se souvient qu'elle pouvait se permettre d'avoir peur. Elle avait le choix, autrefois. Le choix d'être heureuse, fatiguée, en forme, d'avoir chaud, d'avoir froid, d'avoir faim, de manger. Mais maintenant ? Maintenant, même les simples passants lui font craindre le pire, parce que chaque inconnu est un danger potentiel, un risque supplémentaire. "Pendant qu'elle essayait d'avancer dans la foule, sur le quai, Juliette pensait que l'homme du train était inquiétant. Elle se retourna plusieurs fois, mais elle semblait avoir de l'avance sur les passagers de son wagon. D'ailleurs si elle devait s'inquiéter de chaque homme inquiétant ... La femme qui louchait, par exemple, est-ce que c'est normal de se cramponner ainsi ? C'était probablement une femme qui ramenait du ravitaillement de la campagne et croyait sue Juliette en faisait autant, alors comme elle avait peur, elle aimait mieux qu'elles fussent deux ...".

Juliette voyage beaucoup. Elle va de villages en villages, repère des lieux discrets, recherche des endroits sûrs pour des planques. Elle marche, pédale, prend des autocars bondés, des trains surpeuplés, quand ils ne sont pas réquisitionnés par l'armée allemande. Et dans les trains, les gens parlent, où plutôt, chuchotent. Ils se racontent les nouvelles : les attentats, le sort des prisonniers de guerre, les mesures anti-juives ou le principe de la Relève. Ils s'offusquent. Sans plus. Juliette, elle, récolte des fonds, transporte du matériel, des lettres, des colis, des documents pour le maquis.

Et puis, au milieu de la banalité du combat, de la vie, des risques quotidiens devenus un solide compagnon de voyage, Juliette rencontre Célestin, à Avignon le jour de la Noël 1942. "Il regardait le feu à travers le vin rouge de son verre. Une culotte de cheval, des bottes, une vareuse sans galons, déboutonnée ... Un grand corps avec des mouvements si brusques qu'on s'attendait à ce qu'il renversât tout, mais il n'en était rien, il avait l'adresse d'un cheval qui prend l'obstacle sans l'accrocher. Une tête d'archange, sombre, déchue, l'œil brûlant, exorbité, sous un sourcil fier ... Le feu, la chaleur tropicale de la pièce semblait venir de lui". Célestin qui - le temps de cette rencontre éphémère -, embrase, illumine la vie et le cœur pur et tendre de la belle Juliette. Cet amour fou et irréel de Juliette pour Célestin se mêle à la beauté sauvage d'Avignon. Mais elle sait déjà, Juliette, que rien ne dure, que tout est aléatoire, fugace. Surtout à cette époque, la vie - comme l'amour -, n'est qu'une utopie, un doux rêve.

"Les Amants d'Avignon", nouvelle extraite du recueil "Le premier accroc coûte deux cent francs" est servie par une très belle écriture poétique et lyrique. On ne peut s'empêcher de faire le lien avec les poèmes d'Aragon, particulièrement son anthologie "Les yeux d'Elsa" écrite à peu près à la même période, en 1942. Elsa
Triolet, dans une langue fluide, sans pathos, a su rendre cette atmosphère de plomb de l'époque, la peur d'être pris, surpris en train de transporter le précieux document, l'utile matériel, le nécessaire courrier pour continuer la lutte. En lisant "Les Amants d'Avignon", on tremble pour la vie de Juliette et pour celle de ses frères et sœurs d'arme. Car cette nouvelle est bien un hommage rendus à tous ces anonymes - hommes et femmes -, qui ont souvent pris des risques inconsidérés pour apporter leur pierre à l'édifice de la liberté. Elsa Triolet a mis ses pas dans ceux de son personnage. Car Juliette, c'est Elsa Triolet. Et à travers Juliette, elle a cherché à faire connaître et à remercier toutes ces personnes qu'elle a côtoyées pendant la Résistance. Ces gens à la vie simple, que rien ne prédestinait à entrer - une jour - dans l'Histoire.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Je pense que je ne te suivrai pas sur cette lecture car j'ai un peu lu "Roses à crédit" que mon fils devait lire au lycée et j'ai trouvé ça très indigeste.......

Anonyme a dit…

Elsa Triolet devrait vraiment être remise à l'honneur, et je te remercie d'y oeuvrer en pionnière! Tant son écriture que les thèmes qu'elle aborde sont profonds et bouleversants..

Nanne a dit…

@ Cathe : Je te comprends très bien, car Elsa Triolet a écriture parfois un peu lourde. Mais elle a une vision très en avance de son époque.

@ Sybilline : Elle a été un peu perdue de vue, à tort, au profit d'Aragon et de ses poèmes. C'est dommage, car sa vision du monde était très humaniste et avant-gardiste.

Malice a dit…

J'aime beaucoup Elsa Triolet, j'ai lu il y a longtemps : Rose à Crédit et Cheval Blanc. Très bon souvenir de lecture. Très envie de la relire. la nouvelle : les Amants d'Avignon à l'air intéressante !
Enfant j'aimais beaucoup les poèmes d'Aragon en particulier les Yeux d'Elsa ;-)

Nanne a dit…

@ Alice : J'ai lu et apprécié "Cheval blanc", largement autobiographique. La nouvelles des "Amants d'Avignon" est extraite d'un recueil pour lequel Elsa Triolet a reçu le Goncourt en 1944, "Le premier accroc coûte 200 francs". Je ne saurais te conseiller de le lire, car c'est un livre très abouti et le meilleur de cette romancière ...

Anjelica a dit…

je n'ai jamais lu, il faudra que je tente pour voir :)

Nanne a dit…

@ Anjelica : Commence par ce petit livre qui est très lyrique et merveilleusement écrit. Je crois qu'il te plaira.

Anonyme a dit…

Tiens, tu me donnes l'idée de la lire. Je note !!!

Nanne a dit…

@ Antigone : Je pense que tu ne le regretteras pas avec cette nouvelle ...