1 août 2009

LE DROIT D'ABSOUDRE ... OU PAS !

  • Pardonner, tyrannie ou libération ? - Sylvie Tenenbaum - Inter Éditions

"Dans ce livre sur le pardon, je vous parlerai des enfants (et des adultes qu'ils sont devenus) qui souffrent des tourments infligés par des parents nuisibles, quelle que soit l'intensité de leur nuisance. Vous en connaissez tous, dans votre entourage privé ou professionnel. Ce sont des personnes qui prennent des antidépresseurs, des anxiolytiques, des calmants ; qui sont malheureuses ; qui semblent aller d'échec en échec dans leur vie amoureuse, professionnelle. La plupart du temps, elles ne font pas le lien entre ce qu'elles ont vécu dans leur enfance et dans leur adolescence et leurs échecs actuels, leurs difficultés à vivre. Pourtant, "quel que soit notre âge, c'est toujours l'enfant qui est atteint en nous, celui qui est sans défense"". Dans son ouvrage, Sylvie Tenenbaum - psychothérapeute - revient sur cette notion si importante dans notre vie sociale, le pardon. Ainsi, dans les trois religions monothéistes, c'est Dieu - seigneur, éternel et miséricordieux - qui accorde le pardon suprême aux hommes imparfaits et faillibles. Et si nous pardonnons à autrui, Dieu nous pardonnera (CQFD). "Pardonner est un véritable acte d'amour, désintéressé. Car "Dieu pardonne" et par ce pardon reçu, l'homme fait "l'expérience de la grâce de Dieu"". S'il faut du courage pour pardonner à quelqu'un, il est encore plus difficile de demander pardon. Ce sentiment de honte, de culpabilité reconnue est le plus souvent perçu comme une forme de faiblesse morale, psychologique, voire même physique. Seule la victime peut pardonner à son tourmenteur pour le réhabiliter. Encore faudrait-il que le tortionnaire ait conscience de son acte pour que le pardon prenne tout son sens. Le pardon collectif au nom de l'Histoire, du passé, de la réconciliation entre les Peuples semble n'être qu'un pis-aller. "Seul l'offensé possède la légitimité du pardon car l'offense ou les crimes sont toujours accomplis de personne à personne, même s'ils sont collectifs. De nombreux crimes resteront ainsi à jamais impunis, ceux dont les victimes sont mortes, au cours des siècles, des dernières années ou ce jour d'aujourd'hui [...]".

En aucun cas, le pardon ne sera un acte thérapeutique vers l'apaisement, pour tourner la page et écrire une nouvelle histoire personnelle. "Promettre la "guérison" de la souffrance grâce au pardon est un leurre qui, l'expérience le démontre, se révèle être un mensonge". Plus même, le pardon n'est pas une sujétion. Seule, la victime détient cette faculté de le dédouaner de ses actes. En aucun cas, personne ne peut la culpabiliser de ne pas pardonner pour les souffrances physiques, morales, psychiques endurées. Dans ces circonstances, l'entourage - parents, amis, thérapeutes -, peut prendre la forme du "maître-chanteur". "Pardonne ou tu seras puni ! Pardonne ou tu deviendras à ton tour impardonnable !"". L'acte de pardon doit être spontané et jamais dirigé, commandé, ordonné ou imposé.

Le pardon est la finalisation d'un processus qui se met en place dès l'enfance, sa naissance et même in utero. Un adulte ne sera épanoui, fort moralement, solide psychologiquement qu'à la seule condition que son enfance ait été réussie. Un enfant qui a enduré des maux, dont les relations avec les parents, l'entourage proche, la fratrie n'ont pas été harmonieuses ne sera jamais un adulte équilibré,
stable. "Lorsque les parents font souffrir leurs enfants, ces derniers consacrent inconsciemment une grande part de leur énergie à effacer tous les souvenirs de ce qu'ils ont subi : refoulés aux tréfonds de leur mémoire, ils sont absents de leur conscience. Pourtant, devenus adulte, ils ne parviennent pas - comme empêchés, entravés - à vivre comme ils le désirent. Qu'ils s'agisse de leur vie affective, relationnelle ou même professionnelle, ils sont comme perdus et rencontrent bon nombre d'obstacles à leur épanouissement". Ces carences affectives entraînent, dès lors, un manque d'estime de soi, un désamour pour sa personne, un isolement persistant, des échecs. Le tout menant souvent à la dépression.

De même, le silence et le non-dit pour conserver les apparences de la normalité, de la perfection dans une famille est néfaste. L'enfant porte en lui le poids d'une responsabilité qui ne lui appartient pas. Devenu adulte, soit il persistera dans la soumission aux volontés parentales et
refoulera ses attentes personnelles, se pliera à cette autorité sans prendre une décision propre de peur de peur de les décevoir ; soit ils entreront en résistance et tomberont dans les excès, la rébellion, les violences ou dans la délinquance.

Dans "Pardonnes, tyrannie ou libération", Sylvie Tenenbaum part de la généralité du pardon comme un acte généreux, bienveillant issue de la religion. Absoudre les péchés, les malheurs faits à autrui pour oublier, tel était le fondement de cet acte rédempteur. Mais qu'en est-il réellement ? En tant que thérapeute, Sylvie Tenenbaum a compris que le pardon était une manière d'enfouir sa détresse, de l'oublier dans les profondeurs de son moi inconscient. Or, il n'en est rien. A travers de nombreux exemples de patients venus en thérapie, elle démontre que pardonner à un parent nuisible ou prédateur n'a rien changé à leur situation. Au contraire. Ces patients ont endossé une responsabilité pour décharger les vrais coupables. Une des méthodes pour sortir de ce cercle vicieux "violence, pardon, culpabilité" sera la psychothérapie. Dès lors, le spécialiste sera celui/celle qui aide le souffrant à accoucher de son passé pour s'en délivrer. Le pardon n'est pas une fin en soi, parce que le passé - parfois douloureux - ne disparaîtra jamais de la mémoire. L'essentiel est l'acceptation de soi avec ses qualités et ses défauts, l'écoute de ses émotions et la distanciation avec les événements.

Une interview de Sylvie Tenenbaum sur le site des éditions Dunod.

Merci à Antigone qui en a fait un livre voyageur et pour qui cette lecture a été libératrice et instructive ; pour Sylvie, c'est un livre salutaire ; pour Leiloona, il permet de réfléchir sur certaines démarches éducatives ... Ce livre va continuer son parcours en allant chez Saxaoul.

9 commentaires:

Mangolila a dit…

On en revient toujours là: savoir s'accepter avec son passé! Un livre très sérieux, semble-t-il!? Mango

Leiloona a dit…

Très joli billet détaillé ! :))
Et finalement as-tu aimé ou du moins partages-tu les convictions de l'auteur, assez arrêtées tout de même ?

Nanne a dit…

@ Mango : C'est la question fondamentale de toute psychanalyse ! Accepter son passé, pour s'accepter et se construire un avenir apaisé (au moins tenter !) ... Un livre très instructif, mais subjectif !

@ Leiloona : Merci pour le billet, parce qu'il n'a pas été si évident que cela à rédiger ! C'est un livre très intéressant et riche, même si les exemples pris vont trop dans le sens de l'auteur ... J'ai effectivement trouvé que celle-ci avait des convictions sur la notion du pardon très tranchées ! Le pardon à autrui ne servirait à rien. Seul compte le regard que l'on pose sur soi. J'avoue que le pardon imposé est néfaste, mais l'absence de pardon peut aussi entraîner la victime dans un ressentiment permanent. Je pense lire d'autres ouvrages à ce sujet. Sans doute plus objectifs (avec les deux aspects de la question !).

Alicia a dit…

Billet très intéressant, Nanne
Je pense qu'il est important de pardonner, car cela permet aux victimes de dépasser les sentiments négatifs qu'elles développent forcément envers leurs offenseurs, (les parents en l'occurrence) et de vivre en paix avec eux. S'il est vrai que les êtres tourmentés pendant l'enfance, gardent des séquelles toute leur vie, le pardon n'en est pas moins bon, et constitue alors le début de la guérison intérieure. La personne concernée devra entreprendre alors un travail sur elle-même pour se libérer de ce passé douloureux avec ou sans aide.

Nanne a dit…

@ Alicia : Je suis d'accord avec toi, mais je reste convaincue que le pardon ne peut venir que volontairement, lors d'une thérapie ou un autre travail sur soi. C'est une condition pour avancer et se dégager de l'emprise du passé, de son poids dans la vie de la victime. Une personne qui accepte de pardonner à son tourmenteur n'oubliera pas ses souffrances, mais pourra peut-être commencer à se re-construire avec ces souvenirs. Le pardon est un thème très vaste et très riche à aborder.

Alicia a dit…

Je suis tout à fait d'accord avec toi, Nanne, le pardon doit être volontaire, sinon, il n'a aucune valeur et n'est d'aucune utilité.

Nanne a dit…

@ Alicia : On est bien d'accord sur ce point. Mais selon Sylvie Tenenbaum, ce n'est pas LA condition pour passer à autre chose et se délester de certaines souffrances !

Antigone a dit…

Merci pour ce très beau billet Nanne, que j'ai râté pour cause de vacances !! Ce livre m'a fait du bien. J'étais assez d'accord avec l'analyse de Sylvie tenenbaum, mais tu as raison son avis est très tranché...
Le pardon peut finir par être une conséquence du processus, c'est vrai, quand vient la guérison, je pense, enfin quand elle est possible.

Nanne a dit…

@ Antigone : Cela a été aussi une lecture très intéressante, même si je n'ai pas été tout à fait d'accord avec Sylvie Tenenbaum ! Le pardon ne peut être imposé, c'est une chose acquise, sinon il ne revêt aucun intérêt et est même dangereux ... Par contre, refuser de pardonner peut aussi être nauséabond, car la victime reste avec ses rancœurs, ses haines, ses douleurs intimes. Je pense que pardonner, c'est grandir et accepter de tourner la page pour commencer à guérir de ses souffrances personnelles. De même, je ne pense pas que l'on guérisse vraiment, on apprend à vivre avec ses maux, souvent par la thérapie et la parole ! (c'est très personnel ...).