- Les filles du Calvaire - Pierre Combescot - Livre de Poche
"Elle ne connaissait rien de cette Kundry, dont elle entendait le nom pour la première fois, ni de Parsifal, ni du Roi pourrissant, dont le nom, chaque fois qu'il le prononçait mettait les larmes aux yeux de Bolko. En revanche, elle connaissait les clameurs de Lilith. Depuis longtemps, certaines nuits, elle percevait au fond d'elle les douloureux ululements de l'imparfaite créature". Épopée picaresque et pittoresque s'il en est, "Les filles du Calvaire" de Pierre Combescot reprend les mythes de Parsifal et de Lilith. Je vous rassure, c'est juste une parabole lointaine de ces deux légendes. Prix Goncourt 1991, "Les filles du Calvaire" font revivre un demi-siècle d'un Paris clandestin, hors-la-loi, interlope dans un style littéraire non moins baroque que n'aurait pas renié des auteurs comme Francis Carco, Guillaume Appolinaire ou encore Alphonse Boudard.
Rachel Aboulafia, juive tunisienne, ancienne danseuse nue à Tabarin et accessoirement donneuse sous le speudo de "la Raie" à la Mondaine, petite-fille d'Emma Boccara, fieffée gourgandine et personnage haut en couleur ayant fait les beaux jours de la Goulette - quartier populaire de Tunis - devenue Maud Boulafière par les hasards de l'histoire, est la tenancière du bistrot Les Trapézistes aux Filles du Calvaire. Rachel, persuadée d'être l'incarnation vivante de Lilith et - de ce fait - maudite dans sa vie et dans sa chair. Cette rousse flamboyante aux formes généreuses et aux jambes à damner un saint, trône sur ce petit monde fantasque où se retrouvent des artistes du Cirque d'Hiver, des prostituées des deux sexes, des souteneurs, des danseuses nues, des mercières et des bouchers, des rabbins et professeurs de danse russes, ainsi qu'un commissaire de la Mondaine. "Il s'y échangeait, dans un brouhaha continuel, des rogatons d'idées tronquées comme il arrive souvent dans ce genre d'endroit. On y côtoyait l'artiste de cirque qui, la représentation terminée, n'avait qu'à traverser la rue pour s'en jeter un dernier, ainsi que le mauvais garçon à ne confondre en aucun cas avec le vulgaire "Alphonse" qui, lui aussi, de temps à autre, débarquait de la rue de Lappe, le croco clignotant aux pieds et la cravate bariolée, pour s'accouder au zinc [...]. Il y avait également de vieux habitués, pour la plupart des retraités frileux qui, à heure fixe, rappliquaient pour l'apéro".
Parmi les habitués formant cette grande famille spirituelle où chacun connaît la part immorale et absconse de l'autre, on rencontre le Monsieur Loyal du Cirque d'Hiver - Elzéar Keu - surnommé "Le croque-mort". Ce vieil hidalgo mélancolique, passionné de cheval et ancien de Saumur devra la vie à Maud / Rachel une nuit d'occupation où il ne faisait bon jouer les apprentis héros. On y trouve son vieil et inséparable ami, Eduardo Scannabelli - dit "le beau Dino" - bourreau des cœurs. "Avec ses guêtres, sa canne en bois d'amourette, ses cheveux finement argentés qu'il gominait avec soin, sa taille encore bien prise, un séducteur des années trente. Pas étonnant donc qu'il fût devenu, de la Bastille à la République, le tombeur des rombières. On le connaissait aussi dans le quartier sous le nom de Chipolata. C'était son nom d'artiste. En effet, il était l'un des derniers clowns tristes, la race était en voie de disparition". Le beau Dino qui sera - un bref instant - l'amant de Maud / Rachel, lui laissant au passage une marque impérissable dans sa vie.
Il y a aussi Fernand Crevel, alias Antenor d'Acapulco, lanceur de poignards ou encore Raymond Chouin, filleul de guerre d'Emma et tenancier de la pension Emma, nom donné en souvenir de sa généreuse marraine de guerre. La pension Emma qui ne sera autre qu'une tôle à garçons, réplique masculine des lupanars. Et puis, André Florelle - dit Petit Dédé - ancien de la pension Emma, transfuge de la Milice et déserteur de la Légion. "Le Chinois rappelait, à ce moment, une histoire vieille d'au moins cinq ans, quand un beau matin André Florelle, dit Petit Dédé, un ancien de la Milice, engagé à la Légion en compagnie de son ami de cœur, le comte Bolko von Salza, ancien lieutenant de la Propagandastaffel, s'était retrouvé sur le trottoir devant le café des Trapézistes [...]. S'étant souvenu qu'il était, de tous les michetonneurs ayant défilé à la pension Emma, le préféré du père Chouin, Maud l'avait accueilli à bras ouverts et en avait fait son commis". On croise, dans la vie de cette cour des Miracles, Maurice Changarnier - le Chinois - commissaire à la Mondaine, dont "Tante Esther" lui apprendra les tenants et les aboutissants du monde parisien, avec ses scandales étouffés, ses crimes inavoués, ses petites manies sexuelles triviales et dépravées, ses crétins et ses tares. De quoi vous préparer un avenir solide dans la fonction de maître-chanteur professionnel !! Le Chinois sera l'exécuteur des basses œuvres de l'ensemble de cette joyeuse tribu d'apaches, rendant services aux uns, se servant des faiblesses des autres pour servir sa cause personnelle.
"Les filles du Calvaire" est un livre féerique et virtuose. On assiste à la peinture réaliste d'un monde aujourd'hui disparu, celui de personnalités riches de caractère, à la générosité débordante. On ne peut raconter l'histoire, qui n'est pas linéaire mais une suite d'aventures personnelles et collectives qui se mêlent, se démêlent, s'enchevêtrent pour le plus grand bonheur du lecteur qui prend plaisir à plonger dans ce monde méconnu.
* Billet paru sur mon précédent blog.
4 commentaires:
Tiens c'est bizarre, je n'aurais pas pensé que tu lirais ce genre de livre. J'ai lu un livre de cet auteur, je l'ai apprécié mais je ne suis pas sure d'y retourner un jour.
Lu il y a très longtemps et je me souviens avoir beaucoup aimé. Tu ravives de bons souvenirs.
Monde et demi monde plein de charme apparemment, je n'ai jamais lu Combescot, ici c'est la période qui semble séduisante
@ Ys : Je me souviens avoir lu ton billet sur un roman de Combescot qui parlait de Gilles de Rais et que j'ai noté dans mon carnet ! J'aime particulièrement ce genre de lecture. Il ne faut pas croire ... Et ce roman est absolument truculent et délicieux. Une très belle rencontre littéraire et une lecture extraordinaire.
@ Yv : Je l'avais lu à sa sortie, il y a bien longtemps déjà ! Mais je l'ai relu depuis et le bonheur de retrouver ce monde interlope était toujours là ... Signe de qualité pour un roman, en général !
@ Dominique : Lu deux fois et aimé à chaque fois ! Ce roman est rempli de personnages dignes de la Comedia Del'Arte ... C'est foisonnant, c'est riche et dense ! C'est vraiment un bon livre pour découvrir un auteur trop mal connu sur les blogs.
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